«Cette réforme compromet tout un écosystème agricole et commercial déjà fragilisé par les tensions commerciales internationales et les effets du changement climatique. » Gouverneure Maura Healey
Boston (Massachusetts), 25 juin 2025 – Par YVES CAJUTE, InfoHaïti.net – Face à l’adoption imminente d’un projet de loi fédéral visant à réduire de manière substantielle le programme d’aide alimentaire SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program), la sénatrice Amy Klobuchar du Minnesota (Membre et chef de file de la minorité de la Commission sénatoriale de l’Agriculture, de la Nutrition et des Forêts) a convoqué ce mercredi une réunion virtuelle de haut avec plusieurs responsables démocrates. Étaient notamment présents les gouverneurs Maura Healey (Massachusetts), Laura Kelly (Kansas), Matt Meyer (Delaware), Andy Beshear (Kentucky), ainsi que la sénatrice Lisa Blunt Rochester (Delaware), tous mobilisés contre une réforme jugée préjudiciable aux populations les plus vulnérables.
Des coupes budgétaires d’ampleur nationale
Dans son intervention liminaire, la sénatrice Klobuchar a mis en garde contre l’impact considérable du texte examiné par le Congrès. Selon les estimations du Congressional Budget Office, les réductions envisagées priveraient directement quatre millions de personnes de toute aide alimentaire, dont un million de personnes âgées, 800 000 parents d’enfants scolarisés, et 1,4 million de résidents vivant dans des zones économiquement sinistrées.
Le programme SNAP, qui constitue actuellement un soutien alimentaire fondamental pour environ 42 millions d’Américains, est au cœur du dispositif fédéral de lutte contre l’insécurité alimentaire. Parmi les bénéficiaires figurent notamment 16 millions d’enfants, 8 millions de personnes âgées, 4 millions de personnes en situation de handicap et 1,2 million de vétérans.
La sénatrice a également rappelé qu’une majorité d’Américains s’opposent à cette réforme : selon un récent sondage publié par Fox News, 60 % des citoyens y sont défavorables, et deux tiers estiment qu’elle nuira directement à leur famille.
Une externalisation des coûts vers les États
Au-delà des réductions fédérales, un des aspects les plus controversés du projet repose sur la dévolution de charges aux gouvernements des États. Comme l’a souligné Amy Klobuchar, 41 États américains sont soumis à des règles de budgets équilibrés. Ces nouvelles responsabilités financières les contraindraient à effectuer des arbitrages difficiles, entre le maintien de l’aide alimentaire et le financement d’autres services publics essentiels comme la santé, l’éducation ou la sécurité.
Dans ce contexte, 23 gouverneurs démocrates ont adressé une lettre officielle au Congrès pour alerter sur les conséquences à long terme de cette réorganisation budgétaire. Selon leur déclaration conjointe, ces mesures « rendent pratiquement impossible toute planification efficace des finances publiques des États ».
Le Massachusetts parmi les États les plus affectés
Prenant la parole au nom du Massachusetts, la gouverneure Maura Healey a exprimé ses vives préoccupations face à l’impact attendu sur sa population. « Près d’un million de résidents du Massachusetts bénéficient actuellement de SNAP, soit environ 15 % de la population de l’État.. Ce soutien représente une enveloppe annuelle de 710 millions de dollars. Sa suppression aurait des conséquences humaines et sociales dramatiques », a-t-elle déclaré.
Elle a insisté sur le caractère structurant du programme SNAP, qu’elle décrit comme « un outil fondamental de stabilité économique, de santé publique et de justice sociale ». Le programme contribue non seulement à lutter contre la faim, mais également à prévenir des hospitalisations évitables, à soutenir la reprise économique locale, et à faciliter l’insertion sociale des foyers à faibles revenus.
Une détresse humaine tangible
Pour illustrer la portée concrète de la réforme, la gouverneure Healey a évoqué plusieurs cas représentatifs. Parmi eux, une grand-mère qui élève seule son petit-fils et qui risque de perdre 200 dollars par mois ; un homme de 61 ans atteint de diabète, récemment licencié, dont l’alimentation thérapeutique dépend entièrement de l’aide SNAP ; ou encore les quelque 20 000 vétérans vivant dans le Massachusetts qui comptent sur ces aides pour subvenir à leurs besoins alimentaires.
Selon la Gouverneure Healey, un tiers des bénéficiaires de SNAP dans l’État sont des enfants, un autre tiers sont des personnes en situation de handicap, et un quart sont des personnes âgées. « Ce n’est pas une politique publique, c’est une forme de cruauté institutionnelle », a-t-elle déploré.
Des retombées économiques systémiques
Au-delà des effets sociaux, la gouverneure Healey a souligné l’importance économique du programme SNAP. « Plus de 5 500 commerces du Massachusetts acceptent les paiements SNAP. Chaque dollar injecté dans ce programme génère 1,50 dollar d’activité économique locale. »
Elle a également tenu à rappeler que les banques alimentaires, aussi mobilisées soient-elles, ne peuvent compenser les coupes envisagées. « Pour chaque repas distribué par une banque alimentaire, SNAP en fournit neuf. Aucun organisme caritatif ne pourra combler une telle perte. »
Les producteurs agricoles sont également concernés. De nombreux agriculteurs du Massachusetts dépendent des marchés ouverts par SNAP, notamment via les marchés de producteurs locaux. « Cette réforme compromet tout un écosystème agricole et commercial déjà fragilisé par les tensions commerciales internationales et les effets du changement climatique. »
Une mobilisation interétatique coordonnée
La réunion a également permis aux gouverneurs Kelly, Meyer et Beshear d’exposer les répercussions attendues dans leurs États respectifs, illustrant ainsi la portée transpartisane et géographique de la problématique. Les zones rurales, tout particulièrement, risquent de subir des effets en cascade, tant sur le plan alimentaire qu’économique.
La sénatrice Lisa Blunt Rochester a réaffirmé son engagement aux côtés de la sénatrice Klobuchar et des gouverneurs démocrates pour bloquer ce projet de loi. Son intervention a renforcé le message selon lequel la réforme en cours transcende les clivages politiques traditionnels : elle pose une question de valeurs fondamentales et de responsabilité collective.
À l’issue de cette rencontre, les participants ont appelé le Congrès à rejeter le projet de loi dans sa forme actuelle. Selon eux, quelques voix républicaines modérées pourraient suffire à faire échouer le texte au Sénat ou à la Chambre des représentants.
« Le pays le plus riche du monde ne peut accepter que ses enfants, ses aînés, ses anciens combattants, ou ses citoyens les plus fragiles soient poussés vers la faim ou l’exclusion », a résumé Maura Healey. « Il est urgent que le Congrès réaffirme ses priorités humanitaires et économiques. »
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A PROPOS DE SNAP
SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program, soit en français : Programme d’aide nutritionnelle supplémentaire).
C’est le principal programme fédéral américain d’aide alimentaire destiné aux ménages à faibles revenus. Il permet aux bénéficiaires d’acheter des produits alimentaires essentiels grâce à une carte électronique de transfert de prestations (EBT card), fonctionnant comme une carte de paiement dans les commerces agréés.
Objectifs du programme SNAP :
- Réduire la faim et l’insécurité alimentaire.
- Améliorer la santé nutritionnelle des personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, handicapées, travailleurs pauvres).
- Stimuler l’économie locale, car les fonds sont dépensés dans les commerces de proximité.
Le programme est géré au niveau fédéral par le U.S. Department of Agriculture (USDA), mais administré localement par les États, qui sont responsables de l’inscription des bénéficiaires et de la gestion opérationnelle.