Ottawa- LEDEVOIR.COM – Après avoir multiplié les menaces tarifaires depuis son arrivée à la Maison-Blanche, le président américain, Donald Trump, a affirmé lundi après-midi que les tarifs douaniers entreraient bel et bien en vigueur mardi, comme prévu. Cette mesure fait craindre le pire pour les économies et les consommateurs d’ici et d’ailleurs.
Quelles conséquences ces tarifs douaniers pourraient-ils avoir pour les économies canadienne et québécoise ?
Les experts ont du mal à suivre le rythme des annonces qui viennent de Washington, mais concluent généralement que tout le monde en souffrirait. Particulièrement les trois pays d’Amérique du Nord, dont les économies sont étroitement intégrées. Et notamment le Canada, où le commerce international est si important. Le seul volet des tarifs généraux de 25 % serait suffisant pour plonger l’économie canadienne en récession et freiner considérablement la croissance américaine, a estimé la Chambre de commerce du Canada (CCC).
Comptant une plus large proportion de secteurs directement exposés, l’Ontario pourrait y perdre 450 000 emplois, le Québec 100 000 — voire jusqu’à 160 000, selon l’ampleur des tarifs, a indiqué François Legault sur ICI RDI lundi — et la Colombie-Britannique 120 000, ont estimé leurs gouvernements respectifs. Au Québec, les villes les plus vulnérables seraient celles de Saguenay (aluminium), de Trois-Rivières (aluminium, produits forestiers et agroalimentaires) et de Drummondville (produits du bois et du mobilier résidentiel), selon la Chambre de commerce du Canada.
Combien ces mesures pourraient-elles coûter aux consommateurs ?
Même si les tarifs douaniers sont payés par les importateurs et perçus par les gouvernements, l’expérience enseigne en effet que la facture est transférée à l’utilisateur final, c’est-à-dire le consommateur.
Plusieurs économistes et groupes de réflexion ont tenté de chiffrer cela, mais les estimations varient considérablement d’une source à l’autre.
La CCC a par exemple estimé en novembre dernier que, si seulement les États-Unis appliquaient de tels tarifs, le coût économique réel serait équivalent à 1300 $CA par personne par année au Canada. Si le Canada y répondait par des représailles équivalentes, cette estimation grimpe à 1900 $CA.
Le prix d’un véhicule neuf monterait en moyenne de 6000 $ en quelques mois selon les estimations de la firme J.D. Power. Les pièces automobiles traversant la frontière maintes fois avant qu’une voiture soit complètement assemblée, c’est l’effet combiné de ces tarifs appliqués sur les composantes, puis sur le véhicule, qui a été calculé.
Les acheteurs pourraient alors être tentés de se tourner vers les voitures d’occasion, ce qui ferait aussi grimper les prix sur ce marché.
Certains biens seront touchés plus instantanément, le temps que les stocks actuels disponibles dans les magasins soient écoulés. Par exemple, une laveuse importée des États-Unis après l’entrée en vigueur des tarifs pourrait voir son étiquette de prix modifiée directement.
Et quels seront les effets potentiels pour les consommateurs américains ?
Les ménages seront évidemment touchés aussi au sud de la frontière, même si cette mesure demeure relativement populaire auprès des Américains. Le Peterson Institute for International Economics (PIIE) a calculé le mois dernier que les droits de douane coûteraient en moyenne plus de 1740 $CA aux ménages américains par année.
Cette estimation reste moins élevée que celle de la Chambre de commerce du Canada, qui chiffrait plutôt ce coût à 1870 $CA par personne (plutôt que par foyer américain), tarifs et contre-tarifs y compris.
Le PIIE cite le carburant, l’équipement de transport, les métaux, les machines et équipements, les produits chimiques, les aliments et les légumes préparés, les viandes, ainsi que les plastiques et le caoutchouc parmi les importations les plus importantes qui seraient affectées.
Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale
Si Donald Trump tient parole au sujet de ses multiples menaces de tarifs douaniers contre tous les autres pays, leur taux moyen sur l’ensemble des importations aux États-Unis bondira de 2,5 % à 13,8 %. Cela restera inférieur à ce qui prévalait durant « l’âge d’or » de son modèle, le président William McKinley, à la fin du XIXe siècle, ou après l’envolée du protectionnisme au lendemain du krach de 1929 et de la loi américaine Smoot-Hawley. Mais cela marquera une hausse jamais vue jusque-là et ramènera son pays au niveau d’avant-guerre.
Cascade de menaces tarifaires
21 janvier — Accusant ses trois principaux partenaires commerciaux de ne pas en faire assez contre l’entrée de fentanyl et de migrants illégaux aux États-Unis, Donald Trump promet, le lendemain de son inauguration, d’imposer des tarifs douaniers supplémentaires de 10 % sur l’ensemble des marchandises provenant de la Chine ainsi que de 25 % sur toutes les marchandises en provenance du Canada et du Mexique dès le 4 février.
31 janvier — Donald Trump déclare que les tarifs douaniers sur les produits énergétiques canadiens seront finalement de 10 %.
1er février — Le Canada annonce qu’il ripostera aux éventuels tarifs américains « dollar pour dollar ». Ces réponses viendraient en deux étapes. La première frapperait immédiatement pour 30 milliards d’importations venant d’États et d’industries particulièrement chers au cœur du Parti républicain de Donald Trump, comme le jus d’orange, le beurre d’arachide, le vin, les électroménagers, les vêtements, les motocyclettes et les pâtes et papiers. La seconde étape, qui viendrait un peu plus tard, porterait le total des contre-tarifs à 155 milliards et toucherait plus de produits, comme les véhicules à moteur, l’acier et l’aluminium, les fruits et légumes, les produits aérospatiaux, le bœuf et le porc.
3 février — Donald Trump applique 10 % de nouveaux tarifs à la Chine — à quoi elle répond avec ses propres représailles —, mais suspend pour un mois l’application de la menace qui pesait sur ses voisins canadien et mexicain, en échange de leur promesse de resserrer les contrôles à leurs frontières.
10 février — Le président Trump menace de lever de nombreuses exceptions jusque-là en vigueur et d’appliquer à tous les pays, y compris au Canada, des tarifs de 25 % sur les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis à compter du 12 mars. De tels tarifs s’ajouteraient aux droits de douane généraux.
13 février — Donald Trump annonce son intention prochaine d’appliquer des « tarifs réciproques » censés rendre coup pour coup à chacune des barrières commerciales dont seraient coupables les autres pays. Parmi les mesures dénoncées, il cite la taxe sur les géants du numérique et la TPS au Canada.
1er mars — Donald Trump ouvre une enquête contre de prétendues pratiques commerciales déloyales du Canada dans le secteur du bois d’œuvre, déjà frappé de tarifs américains.