«Le Canada demeure le principal partenaire commercial des États-Unis, achetant davantage de biens américains que la Chine, le Japon, la France et l’Allemagne réunis. »
Braintree (Massachusetts), le 4 juin 2025 – Par Yves Cajuste, InfoHaïti.net – À l’occasion de la réunion annuelle du Metropolitan Area Planning Council (MAPC), qui s’est tenue ce mercredi à Braintree, la Consule générale du Canada à Boston, Bernadette Jordan, a prononcé une allocution assez remarquée, mettant en lumière l’importance du partenariat économique entre le Canada et le Massachusetts, tout en passant en revue les récentes mesures commerciales adoptées par les États-Unis, que le gouvernement canadien considère comme « injustifiées ».
Placée sous le thème « Canada et Nouvelle-Angleterre : une relation économique qui touche chaque communauté », cette rencontre a également réuni la lieutenante-gouverneure du Massachusetts, Kim Driscoll, ainsi que la mairesse de Boston, Michelle Wu.
Une relation bilatérale d’envergure
Dans les premiers mots de son intervention, Bernadette Jordan a rappelé l’intensité des échanges économiques entre le Canada et les États-Unis .
« Si vous m’aviez demandé de vous parler des relations économiques canado-américaines en janvier dernier, avant l’entrée en fonction du président Trump, je vous aurais décrit un partenariat solide, mutuellement profitable, basé sur la confiance et l’intégration des chaînes d’approvisionnement », a lancé Mme Jordan.
« Notre commerce bilatéral atteint près de 1 000 milliards de dollars américains par an, soit 2,5 milliards de dollars qui franchissent la frontière chaque jour. » Elle a précisé que 8 millions d’emplois américains dépendent directement de ce commerce, soulignant que « le Canada est le client numéro un des États-Unis, achetant plus à ce pays que la Chine, le Japon, la France et l’Allemagne réunis ».
Le Massachusetts, a-t-elle noté, occupe une place de choix dans cette relation. En 2024, l’État a exporté pour 3 milliards de dollars de biens et pour un montant équivalent en services vers le Canada. « Rien qu’à partir du comté de Middlesex, ce sont 1,5 milliard de dollars de biens exportés vers le Canada. Du comté Suffolk, 1,2 milliard et du Norfolk, près d’un demi-milliard. C’est une dynamique forte et équilibrée », a déclaré la diplomate canadienne.
Parmi les produits concernés : des équipements médicaux, des pièces d’aéronautique, de l’électronique, mais aussi des fruits de mer et des produits de papeterie.

Une énergie « en provenance du Nord » au cœur du système
« Saviez-vous que 8 voitures sur 10 à Boston roulent avec de l’essence canadienne ? Ou que 90 % du kérosène de l’aéroport international Logan est raffiné au Canada ? », a martelé Bernadette Jordan, mettant ainsi en exergue la dépendance énergétique du Massachusetts envers son voisin du Nord.
En effet, le Canada demeure le premier fournisseur de pétrole, de gaz, d’électricité et d’uranium aux États-Unis. Rien qu’en 2024, le Massachusetts a importé pour 3,1 milliards de dollars de mazout et 600 millions de dollars de gaz naturel en provenance du Canada.
« L’interconnexion énergétique de nos deux économies est un atout stratégique, notamment en période de transition énergétique », a-t-elle insisté, évoquant la future mise en service de la ligne de transmission NECEC, qui permettra d’acheminer de l’électricité propre du Québec vers le Massachusetts. « Ce projet soutiendra vos objectifs de décarbonation tout en garantissant la stabilité de vos approvisionnements en hiver », a-t-elle affirmé.
Les nouvelles barrières tarifaires de Washington
Mais derrière cet aperçu positif, le ton s’est fait plus grave lorsque la diplomate a abordé les récentes décisions de l’administration Trump : « Trois vagues de tarifs douaniers ont frappé le Canada en l’espace de quelques semaines », a-t-elle regretté.
Depuis mars, les États-Unis ont imposé des droits de douane de 25 % sur l’acier, l’aluminium, les véhicules non conformes à l’ACEUM (Accord Canada–États-Unis–Mexique), ainsi que sur l’énergie et les engrais importés du Canada.
« Ces décisions ont été prises au nom de la sécurité nationale ou de la crise du fentanyl, mais ces justifications ne tiennent pas la route », a rappelé Bernadette Jordan soulignant que seulement 0,2 % du fentanyl détecté aux États-Unis provenait du Canada, et que les passages illégaux à la frontière nord étaient en baisse de 99 % par rapport à leur pic de l’an passé.
« Nous avons investi 1,3 milliard de dollars dans un plan frontalier ambitieux, nommé un ‘Czar’ du fentanyl et désigné sept cartels comme organisations terroristes. Les faits sont là : nous avons agi, et les résultats sont mesurables ».
Des conséquences locales inquiétantes
Pour Bernadette Jordan, ces nouvelles taxes vont impacter concrètement les communautés locales du Massachusetts : « Pour les municipalités, cela signifie des budgets municipaux encore plus tendus : les voitures de service, l’acier pour les bâtiments publics, les denrées alimentaires pour les cantines scolaires… tout cela va coûter plus cher. »
Elle a mis en garde contre les effets d’entraînement de potentielles taxes sur le bois ou les médicaments : « Les logements et les soins de santé deviendront moins accessibles. »
Mais au-delà des prix, c’est l’incertitude économique qui inquiète la diplomate : « Comment une famille peut-elle planifier une rénovation si elle ignore combien coûteront les matériaux dans trois mois ? Comment une ville peut-elle planifier la réfection des routes si elle ne connaît pas le coût des infrastructures d’évacuation des eaux usées? »
La riposte canadienne
Face à cette situation, Ottawa a répliqué. « Le Canada a introduit des tarifs de représailles équivalents à 40 milliards de dollars sur des produits américains, allant de l’acier aux jus d’orange, en passant par les motos, les cosmétiques ou le papier », a détaillé Mme Jordan.
Elle a précisé que chaque dollar issu des droits de douane sur les véhicules sera reversé au soutien des travailleurs de l’industrie automobile canadienne. « Bien sûr, certains produits originaires du Massachusetts pourraient être affectés », a-t-elle admis. « Et chacun sait que lorsqu’une chaîne d’approvisionnement est rompue, il est très difficile de la restaurer. »
En parallèle, plusieurs provinces canadiennes ont suspendu les contrats avec des fournisseurs américains et ont retiré les alcools américains des rayons. « Le public canadien, de son côté, se mobilise : on parle de plus en plus de ‘Buy Canadian’. L’ambiance est tendue. »
Un appel à la coopération et à la raison
Malgré ce climat tendu, la Consule générale du Canada à Boston s’est voulue constructive : « Le Canada ne souhaite pas de confrontation. Nous voulons réformer nos relations commerciales sur la base du respect mutuel et d’intérêts communs. »
Elle a salué les récentes démarches du Premier ministre Mark Carney pour bâtir un nouveau partenariat économique et sécuritaire avec les États-Unis, tout en reconnaissant la nécessité pour le Canada de diversifier ses alliances. « Nos entreprises ont besoin de stabilité, de prévisibilité. C’est pourquoi nous développons nos investissements dans les secteurs de l’innovation, de la transition énergétique, des semi-conducteurs, de l’aérospatial et de l’économie bleue », a-t-elle indiqué.
La diplomate a également mentionné les start-ups canadiennes présentes à Greentown Labs, les investissements dans l’hydrogène vert à Terre-Neuve-et-Labrador et l’industrie éolienne en Nouvelle-Écosse comme exemples de complémentarité avec les priorités du Massachusetts.
Une vision partagée pour l’avenir
Pour conclure, Bernadette Jordan a plaidé en faveur de la consolidation du partenariat entre le Canada et le Massachusetts, estimant que « l’État de droit, la démocratie, la justice climatique et l’inclusion constituent des valeurs partagées, mais qu’aucune nation ou entité politique ne saurait atteindre ses objectifs sans une collaboration étroite. »
Elle a invité les dirigeants municipaux présents à défendre ce partenariat historique : « Je compte sur vous pour continuer à être la voix de cette relation. Ensemble, nous avons construit une prospérité partagée. Ensemble, nous pouvons la préserver. »
A suivre les interventions de la Lt-Gouverneure Kim Dricoll et de la Maire de Boston Michelle WU à la réunion annuelle du Metropolitan Area Planning Council (MAPC), qui s’est tenue ce mercredi à Braintree.