Thursday, May 15, 2025
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Géopolitique : Les relations entre l’Algérie et la France sont au bord de la rupture

Entretien avec le professeur Karim Achab (PhD), expert de l’Afrique du Nord, professeur de Lingusitique à l’Université d’Ottawa

Brockton, Massachusetts – Par Yves Cajuste – INFOHAITI.NET –  Depuis plusieurs mois, les tensions diplomatiques entre l’Algérie et la France ne cessent de s’aggraver, atteignant un niveau critique. Marquées par un passé colonial douloureux, exacerbées par des différends stratégiques récents et par des pressions politiques internes croissantes, les relations entre Alger et Paris semblent au bord de la rupture. Pour décrypter les causes profondes de cette crise et ses implications, nous avons sollicité l’analyse de Karim Achab (PhD), spécialiste de l’Afrique du Nord et Professeur de Linguistique à l’Université d’Ottawa au Canada.

Une histoire lourde de rancunes

Les relations entre la France et l’Algérie restent profondément marquées par le poids de l’histoire coloniale. Bien que l’indépendance ait été proclamée en 1962, « l’armée a confisqué cette indépendance et instrumentalise toujours la mémoire coloniale pour asseoir son pouvoir », explique le professeur Achab.

« À chaque fois que le peuple algérien réclame des réformes, le régime militaire réactive la blessure coloniale pour détourner le débat et resserrer son contrôle », poursuit-il. Cette stratégie continue d’empoisonner durablement les rapports bilatéraux.

Le Sahara occidental, un nouveau point de friction

La crise a franchi un cap en juillet dernier, lorsque le président Emmanuel Macron a exprimé son soutien au plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental, rompant ainsi avec la neutralité historique de la diplomatie française dans ce dossier.

Pour Alger, il s’agit d’une véritable humiliation. « C’est un véritable camouflet pour Alger, qui voit dans le soutien à Rabat une marginalisation de son influence régionale », analyse Dr Achab.

« Le régime algérien vit cette reconnaissance implicite du plan marocain comme une atteinte directe à son projet géopolitique saharien », ajoute-t-il.

Ce revirement français a donc considérablement détérioré les relations avec Alger.

Tensions migratoires et expulsions bloquées

Autre sujet de discorde majeur : la migration. L’Algérie refuse depuis plusieurs années de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au rapatriement de ses ressortissants en situation irrégulière en France.

Au cœur de cette crise figure la problématique des OQTF (Obligations de Quitter le Territoire Français), qui imposent à tout étranger en situation irrégulière de quitter volontairement le territoire sous 30 jours, faute de quoi une expulsion forcée peut être engagée.

« Le refus de l’Algérie de coopérer sur les rapatriements transforme l’exécution des OQTF en un casse-tête insoluble pour la France », souligne Dr Karim Achab.

Cette situation alimente un vif débat politique en France. De nombreux responsables de droite et d’extrême droite dénoncent l’inefficacité gouvernementale et exigent des sanctions contre les pays qui ne reprennent pas leurs ressortissants.

« Ce débat cristallise les tensions migratoires et contribue à la radicalisation du discours politique en France », observe Dr Achab.

« Il expose aussi les limites de la diplomatie française face à des régimes qui utilisent la migration comme moyen de pression. »

Le climat s’est encore tendu avec l’affaire d’influenceurs algériens, proches du régime, accusés d’avoir menacé des opposants politiques en exil en France. L’expulsion de l’un d’eux, Boalem, a été bloquée lorsque l’Algérie a refusé de l’accueillir, provoquant un nouvel incident diplomatique.

Un autre scandale a envenimé la situation : l’implication présumée d’un officier des renseignements algériens dans la tentative d’enlèvement d’Amir Boukors, alias Amir DZ, un opposant exilé en France.

« La tentative d’enlèvement d’Amir DZ sur le sol français a été perçue comme une violation inacceptable de la souveraineté française », commente Dr Achab.

« Cela a franchi une ligne rouge aux yeux des autorités françaises, qui jusque-là tentaient encore de préserver une forme de coopération diplomatique », ajoute-t-il.

En représailles, Alger a expulsé 12 diplomates français. Paris a répliqué en rappelant son ambassadeur et en expulsant 12 agents consulaires algériens. Aujourd’hui, il n’y a plus d’ambassadeurs en poste dans les deux capitales.

Le cas Boualem Sansal : une blessure supplémentaire

La détention de Boualem Sansal, écrivain franco-algérien atteint d’un cancer, a porté un coup supplémentaire aux relations déjà tendues. Arrêté en novembre 2024, il a été condamné à cinq ans de prison en mars 2025 pour « atteinte à la sûreté de l’État », déclenchant une vague d’indignation en France.

« L’incarcération d’un intellectuel malade, respecté dans le monde entier, a profondément choqué l’opinion publique française et aggravé le ressentiment envers le régime algérien », explique le professeur Achab.

« Le traitement infligé à Boualem Sansal est emblématique de l’acharnement du pouvoir algérien contre toute voix dissidente, même lorsqu’elle bénéficie d’un rayonnement international », souligne-t-il.

Le président Emmanuel Macron et le Parlement européen ont publiquement appelé à sa libération, symbole désormais d’une dérive autoritaire du régime algérien.

Le poids des pressions politiques internes en France

En parallèle, la pression intérieure pèse de plus en plus sur l’exécutif français. La montée en puissance du Rassemblement National et la droitisation du débat public influencent la posture diplomatique de Paris.

« Le succès croissant du RN et la droitisation de l’opinion publique française influencent directement la politique étrangère », analyse Dr Achab.

« Le gouvernement est de plus en plus contraint d’afficher des gages de fermeté pour ne pas laisser tout l’espace politique à l’extrême droite », ajoute-t-il.

Des figures gouvernementales comme le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau n’hésitent plus à adopter des discours sécuritaires très marqués.

Une jeunesse algérienne sans perspectives

Sur le plan interne, l’Algérie est confrontée à une crise sociale aiguë. Faute d’opportunités économiques et de libertés politiques, de nombreux jeunes Algériens tentent de rejoindre clandestinement l’Europe.

« Le phénomène des « haraga » illustre la perte totale d’espoir d’une génération sacrifiée », observe le professeur Achab.

« Faute d’emploi, de libertés et de perspectives, la jeunesse algérienne fuit massivement au péril de sa vie », poursuit-il.

Une fois arrivés en France, ces migrants se retrouvent souvent pris au piège de l’économie souterraine et alimentent malgré eux le discours sécuritaire.

Vers un changement générationnel des rapports France-Algérie ?

Le professeur Achab estime cependant que le contexte évolue en France : une nouvelle génération de responsables politiques, moins marquée par la mémoire de la guerre d’Algérie, émerge.

« Cette génération n’hésite plus à dénoncer les dérives mafieuses du régime algérien et à rééquilibrer les rapports en fonction des intérêts de la France », analyse-t-il.

« La fin du complexe post-colonial ouvre la voie à des relations plus franches, mais aussi plus dures », prévient-il.

Aujourd’hui, les perspectives d’amélioration paraissent lointaines. « Nous entrons dans une période d’instabilité diplomatique durable, où chaque incident pourrait déboucher sur une crise plus grave encore », alerte Dr Karim Achab.

« Tant que le régime algérien poursuivra sa stratégie de confrontation et que la France poursuivra son durcissement, la réconciliation restera hors de portée », conclut-il.

À l’approche de l’élection présidentielle française de 2027, où l’extrême droite pourrait arriver à l’Elysée et à Matignon, Paris devra composer avec une opinion publique exigeant une politique étrangère plus ferme. Pendant ce temps, Alger, fragilisé intérieurement, pourrait encore durcir sa posture.

Un extrait de notre entretien avec Karim Achab (PhD), expert sur l’Afrique du Nord et Professeur de Linguistique à l’Université d’Ottawa.

 

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