L’image était, pour beaucoup, absolument inimaginable il y a deux jours : Barack Obama a reçu jeudi dans le Bureau ovale Donald Trump, dont la retentissante élection continue de provoquer une onde de choc, à travers les États-Unis et le monde.Le président américain Barack Obama a fait état d’une « excellente conversation » après avoir reçu pendant 90 minutes dans le Bureau ovale Donald Trump, qui lui succédera le 20 janvier 2017.
« Nous voulons faire tout ce que nous pouvons pour vous aider à réussir », a déclaré M. Obama, assis à côté du milliardaire populiste élu mardi à la surprise générale.
Affirmant avoir parlé de « la politique étrangère comme la politique intérieure », M. Obama a insisté sur sa volonté de mener à bien la transition de manière aussi efficace que possible.
« Quels que soient nos orientations politiques et nos partis, je pense qu’il est important maintenant de se rassembler et de travailler ensemble », a-t-il insisté.
L’homme d’affaires de New York s’est de son côté déclaré « impatient » de travailler avec le président démocrate et de recevoir ses « conseils ». « J’ai beaucoup de respect » (pour lui »), a-t-il ajouté.
« Monsieur le président, c’était un grand honneur d’être avec vous, je suis impatient de vous retrouver à de nombreuses occasions », a-t-il conclu.
Les deux hommes, qui se sont serré la main après s’être exprimés devant les journalistes, n’ont répondu à aucune question.
L’homme d’affaires populiste de 70 ans est arrivé en voiture, à l’abri des regards des journalistes, peu avant 11 h.
La rencontre s’annonçait délicate tant les deux hommes, que tout sépare, ont échangé d’invectives durant la campagne. Mais la transition est enclenchée, et le président démocrate a martelé sa volonté de la mener à bien sans heurts.
« Nous ne sommes pas d’abord démocrates ou d’abord républicains. Nous sommes d’abord américains (…) Nous devons nous rappeler que nous ne formons en réalité qu’une seule équipe », a souligné le 44e président des États-Unis, qui quittera le pouvoir le 20 janvier.
Insistant sur l’importance « du respect des institutions, de la loi » et « du respect les uns pour les autres », il a dit espérer que le milliardaire populiste soit fidèle à l’esprit de ses premiers mots – rassembleurs et apaisés – après la victoire.
L’élection surprise de Donald Trump, portée par la colère d’un électorat se sentant ignoré des élites et menacé par la mondialisation, a brisé les rêves de la démocrate Hillary Clinton, que tous les sondages donnaient gagnante, de devenir la première femme à accéder à la présidence.
Mais elle menace aussi le bilan de Barack Obama (climat, assurance maladie, libre-échange…) dont la cote de popularité est, cruel paradoxe pour lui, au plus haut.
Le tribun populiste de 70 ans, qui sera le plus vieux président à entrer à la Maison-Blanche, n’a jamais occupé de fonction élective.
Wall Street était orienté à la hausse jeudi, poursuivant sur son essor post-Trump. Certains analystes estimaient que les investisseurs cherchaient à se concentrer sur les aspects perçus comme favorables du programme de M. Trump (plan de relance des infrastructures, baisses d’impôts), mettant de côté des éléments jusqu’alors mis en avant comme menaçants, en premier lieu le protectionnisme affiché du républicain.
L’agence SP Global Ratings a confirmé jeudi la note « AA » » accordée à la dette américaine, estimant que les institutions du pays étaient suffisamment solides pour compenser « le manque d’expérience » et les « incertitudes » sur le programme du 45e président des États-Unis.
Michelle Obama et Melania Trump
Michelle Obama s’entretient de son côté, à huis clos, avec la très discrète Melania Trump, prochaine première dame des États-Unis.
Le vice-président Joe Biden recevra un peu plus tard son successeur, Mike Pence, qui se décrit comme « chrétien, conservateur et républicain… dans cet ordre ».
Donald Trump, qui travaille à la mise en place de ses équipes, rencontrera en début d’après-midi l’homme fort du Congrès, Paul Ryan, président de la majorité républicaine de la Chambre des représentants.
Les deux hommes entretiennent des relations difficiles : M. Ryan avait annoncé en pleine campagne qu’il ne défendrait plus le candidat républicain puis a finalement voté pour lui.
M. Trump aura pour gouverner l’appui du Congrès, le Sénat et la Chambre des représentants ayant conservé leur majorité républicaine.
Le magnat de l’immobilier, qui s’est appuyé durant la campagne sur une équipe très réduite dans laquelle ses enfants jouaient un rôle central, doit mettre les bouchées doubles pour être opérationnel le 20 janvier.
Sous le choc, des milliers d’Américains se sont rassemblés mercredi soir dans une dizaine de villes, de New York à Los Angeles en passant par Washington, pour dénoncer les vues racistes, sexistes et xénophobes, selon eux, de Donald Trump.
À Los Angeles, des milliers de Californiens inquiets et rageurs ont envahi un important axe routier et une effigie du nouveau président a été brûlée devant l’hôtel de ville. Des médias ont fait état de plusieurs interpellations.
À New York, une foule s’est rassemblée au pied de la Trump Tower, domicile du président élu, scandant « Trump à la poubelle !».
La plupart des rassemblements ont été pacifiques, mais à Oakland, en Californie, des bouteilles et des pétards ont été lancés sur la police, blessant plusieurs fonctionnaires. Selon une responsable, deux voitures de police ont aussi été incendiées.
« Notre démocratie l’exige »
Quel est l’état d’esprit de Barack Obama, qui a plusieurs fois affirmé durant la campagne que Donald Trump était une menace pour la démocratie américaine, au moment de lui remettre les clés de la Maison-Blanche ?
Bombardé de questions sur ce thème mercredi, son porte-parole Josh Earnest était à la peine.
« L’élection est terminée, les Américains ont tranché. Ils ont choisi quelqu’un avec lequel le président Obama a des désaccords profonds. Mais cela ne le détournera pas de sa détermination à assurer une transition en douceur. Notre démocratie l’exige ».
« Nous ne pouvons pas nous permettre d’élire ce type ! Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! », avait déclaré M. Obama à Las Vegas, comme un cri du coeur, quelques jours avant le scrutin.
L’inimitié des deux hommes a des racines parfois plus personnelles que leur appartenance politique ou leur vision du monde : pendant des années, Donald Trump a alimenté une théorie du complot aux relents racistes sur le lieu de naissance de M. Obama, avant de faire un virage à 180 degrés durant la campagne, sans explication.
Amère consolation pour Hillary Clinton, elle a perdu l’élection, dont le résultat est décompté État par État, mais au niveau national, elle a obtenu environ 230 000 voix de plus que son adversaire, selon des résultats provisoires publiés jeudi par le New York Times.
JEROME CARTILLIER
Agence France-Presse
Washington