Saturday, April 20, 2024
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Haïti-Educ’2012 – La presse, creuset de débat d’idées nouvelles

Haïti-Educ’2012 s’est poursuivie ce vendredi au Karibe Convention Center à Port-au-Prince. Nous prenons plaisir à publier le texte de la conférence prononcée cet après-midi par notre confrère Hérold Jean-François, journaliste-écrivain et PDG de Radio IBO.

Le plus grand handicap de la société haïtienne est cette réalité de déficit d’éducation d’une part trop importante de la population. Pour cela, la propagation d’idées nouvelles en phase avec le nouveau projet de société tel que consigné dans la charte du 29 mars 1987 se heurte à un mur d’incompréhensions.

Démocratie, État de droit, respect des droits de la personne, le respect des normes et des lois, les prérogatives des institutions sont autant de valeurs nouvelles que le citoyen nouveau doit intégrer en rupture avec la culture autoritaire au centre duquel se trouve le Chef de l’État qui hier encore était comme un dieu ayant droit de vie et de mort sur l’ensemble des citoyens.

Ce conflit entre les valeurs anciennes et les nouvelles opposera les réformateurs et les conservateurs dans un débat houleux rendu plus compliqué par les prises de position de ceux qui, nourris à la mamelle de l’autoritarisme traditionnel, sont incapables d’adhérer à cette volonté de mutation pour favoriser l’émergence d’une réalité nouvelle où l’ensemble des citoyens produit des attitudes graduellement conformes avec le nouveau schéma de vie.

Et comme l’école, l’Université et les centres d’enseignement à tous les niveaux, lieux privilégiés de la transmission du savoir et de ces principes cardinaux de la société démocratique, attendent encore d’accueillir le plus grand nombre, et comme les technologies récentes, les moteurs de recherche et les centres de documentation disponibles sur internet sur un simple clic ne sont pas non plus des produits de masse dans notre pays, la presse, les médias deviennent l’alternative pour la diffusion des valeurs et des idées nouvelles.

Mission difficile, car les médias et leur personnel n’échappent nullement à cette dynamique de diabolisation, d’accusation de partis pris et de perte de confiance qui rendent pour le moins compliquée, la transition de la société autoritaire vers la société de droit. Cependant, l’accompagnement offert par les médias au mouvement démocratique dès le début, l’ouverture faite pour permettre le libre exercice de la liberté d’expression des citoyens qui n’hésitent pas à en jouir en abondance, d’aucuns diraient avec excès, le rôle d’avant-garde pour dénoncer les dérives entre autres, a créé une relation privilégiée entre la presse et l’opinion publique. Cette bonne relation a produit un climat de confiance acceptable conférant à la corporation une certaine autorité l’habilitant à jouer son rôle de vecteur et de creuset du débat d’idées nouvelles. Le travail de la presse est malgré tout délicat, car elle n’est pas exonérée des déchirements de notre société divisée en camps. Or, dans la tête de chacun de nous, il est impossible de ne pas appartenir à l’une ou l’autre chapelle. Dans la méfiance et le doute savamment entretenus de façon intéressée, dans l’incompréhension des uns et des autres due au travail de dé légitimation profitable à un quelconque acteur en perte de crédit, les médias essayent de jouer leur rôle, le plus souvent, avec désintéressement.

Si aujourd’hui l’on convient globalement qu’il existe en Haïti des gains démocratiques, si certaines valeurs comme la tolérance et l’acceptation des idées contraires permettent l’existence même du dialogue social, l’on acceptera que ces résultats proviennent du travail et de l’engagement des médias et de la presse. La réalité de non éducation étant encore une subsistance du refus d’intégration de la majorité par le transfert du savoir par le biais de l’école dans ses multiples cycles, les médias demeurent le moyen alternatif d’atteindre toutes les couches de la population. Dans ce sens ils sont comme une école offrant une éducation informelle à distance. C’est en provoquant le débat entre les multiples acteurs sociaux que les médias diffusent les concepts jusque-là méconnus par le plus grand nombre.

Les droits et devoirs du citoyen, la liberté d’association, la liberté de culte, le droit de réunion, le droit pour les partis politiques et les groupes de la société civile de s’exprimer, de faire du prosélytisme, d’organiser des activités propres à leur nature, les libertés individuelles comme les libertés publiques garanties par la Constitution, tout le formidable parti pris militant dans la défense des acquis démocratiques, sont autant de témoignages de l’impact du travail de la presse et des médias.

Comment une société touchée par un taux d’analphabétisme de près de 50% a-t-elle pu être traversée par autant de valeurs et d’idées nouvelles sur les lèvres du manifestant visiblement sous-éduqué ? Comment chaque citoyen qui n’a pas été à l’école ou dans une quelconque assemblée de groupes organisés est-il imbu désormais des droits que lui garantit la Constitution qu’il endosse et dont il réclame le respect à tout bout de champ ? Il ne s’est pas produit un miracle. C’est le résultat du difficile travail de la presse qui a obtenu graduellement que les antagonismes s’harmonisent au profit de l’établissement d’un dialogue tendu au début et plus convivial à terme.

Au-delà de la diffusion des idées nouvelles et des concepts fondateurs de la société démocratique, les médias sont les vecteurs naturels des connaissances universelles, des progrès scientifiques, technologiques et des principaux enjeux qui préoccupent les intellectuels, les chercheurs, les groupes organisés, les citoyens des sociétés de toute la planète. La réalité de village global qu’est devenue la terre, les pénuries et les phénomènes qui bouleversent le monde, le néolibéralisme, le réchauffement de la planète, le multiculturalisme, comme la préservation des identités, la diversité culturelle et les exceptions culturelles, les concepts nouveaux comme le devoir d’ingérence, le grand débat contradictoire sur les religions, l’Islam en particulier, la fin du monde ancien avec les événements du 11 septembre 2001 entre autres, sont autant d’éléments diffusés par les médias pour contribuer à une mise à jour du public haïtien toujours très ouvert sur le monde et l’actualité internationale. La presse haïtienne offre une couverture de l’actualité internationale avec certaines fois des reportages en direct d’événements et de faits majeurs. En cela, elle évite que la société haïtienne s‘enferme dans ses difficultés comme dans un ghetto, indifférente aux problèmes du reste du monde.

Depuis l’ouverture du processus démocratique en Haïti le 7 février 1986 nous avons assisté à une explosion d’organisations diverses, allant des partis politiques aux groupes les plus variés de la société civile. Cependant cette prolifération, globalement, n’a pas évolué, au fur et à mesure, en faveur d’une transformation en de solides pôles d’espaces cohérents et viables. La fouge du début ne s’est pas vérifiée dans la continuité et au bout du compte à cause d’un ensemble de facteurs et probablement de situations de blocages multiples provoquant des déprimes, la forêt d’organisations sociopolitiques a fait place à un vide comparable à la rareté d’arbres de notre environnement physique. A chaque défection, pour chaque manque dans l’univers haïtien de la transition démocratique, la presse a dû suppléer pour maintenir le souffle et aider les acteurs à se replacer sur les rails. La presse assume en Haïti des attributions qui ne sont pas les siennes, la population interpelle la responsabilité de la presse pour chaque instance ou institution en dysfonctionnement. Il est regrettable que certaines fois, le réflexe en Haïti est de penser que la presse peut remplacer les citoyens qui refusent d’assumer leur devoir. Mais le côté pernicieux de ce rôle de substitut que joue la presse à chaque occasion crée très souvent une perception préjudiciable à la corporation. On accuse fort souvent la presse et les médias de jouer le rôle de l’opposition.

Magazines, éditoriaux, espaces invité du jour, débats interactifs à lignes ouvertes, reportages sur des sujets les plus variés, couverture de conventions, de forum à n’en plus finir, éditions spéciales mettant en vedette les acteurs principaux du show politique, social et culturel l’espace médiatique affiche complet. Et c’est à travers son travail d’informer, de former et d’éduquer que la presse fait comme si de rien n’était cette contribution à la propagation des idées nouvelles. A force de répétition dans une ambiance de crise récurrente, sans s’en rendre compte, les auditeurs et le public exposés à la consommation des produits médiatiques les digèrent, les absorbent et une nouvelle culture les imprègnent de fait.

Cette accoutumance aux médias transforme les abonnés qui deviennent acquis à la cause du changement démocratique. Car, chaque jour, à chaque nouvelle émission, à chaque nouvelle édition du débat de nouveaux adeptes sont recrutés. La presse, de gré ou de fait s’impose comme le prédicateur d’un évangile, d’une semence démocratique dont le fruit, à terme, est devenu une sorte de pain quotidien dont la rareté serait capable de provoquer une émeute comme s’il s’agissait du pain véritable à la quête duquel les vendeurs font la ligne tôt devant les boulangers sur tout notre territoire. L’audience des médias provoque au figuré la même bousculade tous les jours sur les ondes au moment des émissions à grande écoute.

Mais la presse, les médias comme toute entité de l’espace haïtien ont leurs limites. Elles sont d’ordre multiple. Les médias vivent dans la précarité de la majorité des entreprises haïtiennes. Le marché est restreint et c’est dans la survie qu’ils apportent cet encadrement au processus démocratique. A part les difficiles réalités économiques qui les affectent, les médias recrutent leur personnel en Haïti sur l’offre disponible de compétences. Ces dernières sont le produit de l’école haïtienne avec ses insuffisances et lacunes. Mais les dénigreurs des médias voudraient que, contrairement aux autres entreprises qui recrutent des professionnels sur leur diplôme et l’expérience, ce soit les médias qui contribuent à la formation de ses cadres. A partir de cette aberration, on accuse les médias d’utiliser les services de gens médiocres soumis à l’exploitation des patrons de presse. Les médias sont  comme les autres, des entreprises qui recrutent des collaborateurs supposés aptes à faire le travail. Les médias ne sont pas des centres de formation, ni des écoles de journalisme, même si tout comme pour les autres entreprises, les cadres, dans les salles des nouvelles, acquièrent graduellement de l’expérience et s’améliorent par l’encadrement des aînés et par l’encouragement à la formation continue en saisissant les opportunités quand elles se présentent.

Pour jouer de façon valable ce rôle de creuset du débat d’idées nouvelles, les médias comme les journalistes doivent être conscients du devoir de performance. Si on ne peut pas donner ce que l’on ne possède pas, au centre du débat, les membres de la presse doivent avoir le souci de formation. Plus les journalistes sont formés, mieux ils peuvent contribuer à sensibiliser l’auditoire, à l’orienter sur les réflexes nouveaux, les valeurs nouvelles, à bien comprendre les concepts et mériter le respect et la confiance de l’opinion publique. Malgré les procès d’intention, les malveillances et la mauvaise foi avérée des contempteurs intéressés de la presse, jaloux de sa grande prépondérance et de son capital  crédit, malgré des déviances et des accusations de subjectivité certaines fois justifiées, la presse est un carrefour incontournable pour véhiculer les idées nouvelles.

Le souci de s’améliorer et la quête de crédibilité renforcée doivent être au cœur de la préoccupation des médias et de la presse qui gagneront  à être perçus de préférence comme un acteur sinon neutre, du moins fiable, pour s’imposer en toute autorité en modérateur insoupçonnable de ce grand forum ouvert qui a lieu tous les jours, à tout moment sur ses ondes, dans ses pages et à travers l’objectif de ses caméras. Merci.

Photos de Gérald Bordes

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