
Boston, 6 août 2025 – Par YVES CAJUSTE, InfoHaïti.net
Accueillie hier lundi dans l’après-midi au State House par la gouverneure du Massachusetts, Maura Healey, une délégation de neuf (9) parlementaires texans a eu une entrevue suivie d’une conférence de presse. Ces élus démocrates ont temporairement quitté leur État afin de dénoncer ce qu’ils considèrent comme une tentative de détournement du processus électoral, à travers un redécoupage controversé des circonscriptions électorales.

En saluant ces parlementaires, la gouverneure Healey a exprimé son admiration pour leur engagement et leur détermination. « Ce qu’ils entreprennent dépasse les enjeux texans. Ils défendent l’idéal démocratique de l’ensemble des États-Unis », a-t-elle affirmé. Entourée du secrétaire d’État du Massachusetts, William Galvin, elle a insisté sur les implications nationales de cette mobilisation : « Si notre pays ne peut garantir un système électoral juste et équitable, ce sont tous les Américains qui en pâtiront. »
Une démarche symbolique, mais aux enjeux majeurs

(Photo-Credit: Governor’s Office)
La délégation texane, composée notamment de la sénatrice Carol Alvarado (6ème District) et des représentants (députés) Anna Hernandez (143ème District) et Armando Walle (140ème District) , a entrepris ce déplacement afin de sensibiliser l’opinion publique à l’impact du projet de redécoupage électoral actuellement en cours au Texas, à quelques mois des élections de 2026. D’après ces élus, ce projet vise délibérément à fragmenter les circonscriptions à majorité afro-américaine et hispanique dans le but d’affaiblir la représentation des minorités et de renforcer artificiellement la majorité républicaine à la Chambre des représentants.
« Nous ne sommes pas partis pour fuir nos responsabilités. Nous cherchons un soutien national pour faire entendre la voix de nos concitoyens, que ce processus cherche précisément à étouffer », a déclaré la représentante Anna Hernandez. Le représentant Armando Wally a ajouté : « Le véritable coût ne se mesure pas à notre déplacement, mais aux droits que perdront nos électeurs si nous gardons le silence. »
Ce déplacement à Boston s’inscrit également dans un contexte symbolique fort : le Massachusetts célèbre cette année le 250e anniversaire de sa constitution, rédigée par John Adams, et qui servit de modèle à celle des États-Unis. « Le Massachusetts, berceau de la démocratie américaine, est honoré d’accueillir aujourd’hui ceux qui se battent pour ces principes fondateurs », a souligné Maura Healey.
Le “Gerrymandering” est né ici dans le Massachusetts
Le secrétaire d’État William Galvin a pris la parole pour replacer cette crise dans une perspective historique et institutionnelle. Il a mis en garde contre la gravité des actes en cours : « Ce que ces dirigeants tentent de faire, c’est fracturer le coffre-fort de la démocratie pour en piller le contenu. »
Soulignant l’urgence de la situation, il a rappelé que les primaires texanes sont prévues pour le 3 mars prochain. « Or, à ce jour, les électeurs ne savent même pas dans quelle circonscription ils voteront », a-t-il indiqué.
Comparant la démarche des parlementaires texans à celle des premiers patriotes américains, Galvin a affirmé : « Comme John Hancock et d’autres figures de la Révolution, ces élus quittent temporairement leur État non pas pour fuir, mais pour défendre avec force les valeurs démocratiques, et pour pouvoir, demain, témoigner de ce combat. »
Il a également rappelé l’origine du terme « gerrymandering », apparu précisément au Massachusetts au début du XIXe siècle, en référence à une circonscription redessinée sous l’administration du gouverneur Elbridge Gerry. « Oui, le gerrymandering est né ici. Mais ce que nous observons aujourd’hui au Texas dépasse toute logique politique. Il s’agit d’une stratégie autoritaire, proche des pratiques de régimes où la démocratie est vidé de son sens », a-t-il averti.
Pour William Galvin, le redécoupage électoral en cours dans le Sud n’a rien à voir avec des ajustements démographiques ou techniques. Il s’agit plutôt d’une volonté délibérée de fragmenter les communautés minoritaires pour réduire leur influence. « C’est une violation du droit fondamental à une représentation équitable, en contradiction totale avec le principe démocratique de ‘un citoyen, une voix’. »
Pour la sénatrice texane Carol Alvarado, cette crise dépasse les frontières de son État. « Ce n’est pas un problème texan, c’est un problème américain. Aujourd’hui, le président Trump affirme avoir droit à cinq sièges supplémentaires au Texas. Mais dans une démocratie, aucun élu n’a de droit automatique sur un siège. Ce droit appartient aux électeurs. »
Elle a également dénoncé le ciblage précis de quatre circonscriptions à majorité minoritaire — trois afro-américaines et une hispanique — par le projet contesté, qu’elle considère comme une attaque systémique contre les droits civiques.
Interrogée sur les sanctions infligées aux élus absents du Capitole texan, la gouverneure Healey a rappelé que les parlementaires texans perçoivent une rémunération mensuelle de 600 dollars, et que chacun encourt une amende de 500 dollars par jour d’absence. « C’est une tentative d’intimidation caractérisée », a-t-elle dénoncé.
Malgré ces pressions, Armando Walle a réaffirmé leur détermination : « Nous ne sommes pas intimidés. Défendre les droits fondamentaux de nos électeurs justifie pleinement notre présence ici. »
Redécoupage électoral : une dérive systémique
Répondant à une question de la presse sur les cartes électorales du Massachusetts, le secrétaire d’Etat Galvin a réaffirmé leur légitimité : « Nos circonscriptions ont été établies de manière équitable et validées par l’ancien gouverneur républicain Charlie Baker. Ce que nous voyons au Texas n’est pas un simple redécoupage, mais une entreprise de démantèlement méthodique des communautés minoritaires. »
Et d’ajouter : « Si nous restons silencieux aujourd’hui, cette stratégie pourrait se généraliser. Il est de notre responsabilité de la dénoncer sans tarder. »
Le sénateur texan Nathan Johnson a également attiré l’attention sur l’originalité préoccupante du cas texan : « Ce qui choque ici, ce n’est pas la présence d’intérêts politiques dans le redécoupage, c’est le fait qu’il soit opéré hors du cycle décennal, sans recensement, uniquement pour éviter les conséquences politiques d’une mauvaise gouvernance. »
Une mobilisation interétatique en défense des droits civiques
La Gouverneure Maura Healey a souligné que plusieurs gouverneurs, notamment ceux de New York et de l’Illinois, partagent les préoccupations soulevées par la situation texane. « Aucun gouverneur n’aspire à se retrouver dans cette position, mais les agissements de Trump, Abbott et Paxton rendent cela inévitable », a-t-elle affirmé.
Elle a également rejeté toute idée de représailles politiques à l’échelle locale : « Dans le Massachusetts, peu importe pour qui vous votez : votre voix compte et mérite d’être entendue. »
Interrogée sur la possibilité d’un renforcement législatif pour se prémunir de telles dérives, la gouverneure a répondu : « Nous prendrons les mesures nécessaires si cela va dans le sens de l’intérêt général de la population du Massachusetts. ».