
Boston – 1er Septembre 2025 – REPORTAGE – Par YVES CAJUSTE, InfoHaïti.net

Pour la première fois, la ville de Boston a organisé une grande parade à l’occasion de la Fête du Travail (Labor Day), rassemblant plusieurs milliers de participants issus du monde syndical, de la société civile et du monde politique. L’événement, placé sous le signe de la solidarité ouvrière, a voulu à la fois célébrer les conquêtes sociales du passé et alerter sur les menaces actuelles qui pèsent sur les droits des travailleurs.

De nombreux élus ont d’ailleurs défilé aux côtés des travailleurs : la gouverneure Maura Healey et la lieutenante-gouverneure Kim Driscoll, la procureure générale Andrea Campbell, le sénateur Ed Markey, la congressiste Ayanna Pressley, ainsi que plusieurs responsables municipaux en campagne, dont la présidente du conseil municipal de Boston, Ruthzee Louijeune. Leur présence a souligné l’importance politique de cette mobilisation et la volonté affichée par certains élus de se rapprocher des revendications du mouvement syndical.
Cette initiative, portée par l’AFL-CIO Massachusetts, le Boston Teachers Union et de nombreux autres syndicats, s’inscrit dans une longue tradition américaine de luttes pour de meilleures conditions de travail. La Fête du Travail, célébrée chaque année le premier lundi de septembre, trouve ses racines dans les grandes mobilisations ouvrières du XIXᵉ siècle qui ont permis l’instauration de la journée de huit heures, des congés hebdomadaires et des premières garanties sociales.

La voix des syndicats : replacer le travail au centre de l’économie
La présidente de l’AFL-CIO du Massachusetts, Chrissy Lynch, a pris la parole pour rappeler que la Fête du Travail ne devait pas être réduite à un simple jour férié, mais demeurer « un rappel annuel que la classe ouvrière, et non la classe milliardaire, est la véritable colonne vertébrale de l’Amérique ».
Dans un discours marqué par une critique vigoureuse des inégalités sociales, elle a dénoncé une économie qu’elle juge trop favorable aux grandes entreprises et aux ultra-riches :
« Aujourd’hui encore, les lois et les règles du marché sont façonnées pour protéger les intérêts des dirigeants d’entreprise. Mais seules l’unité et la mobilisation des travailleurs permettront de rétablir un équilibre en faveur des classes moyennes, d’assurer des salaires décents, une couverture santé de qualité et la sécurité de la retraite », a-t-elle affirmé.
Mme Lynch a également évoqué les défis contemporains, notamment l’irruption de l’intelligence artificielle, perçue comme une menace potentielle pour l’emploi, la vie privée et la sécurité des données. Elle a rappelé que les grandes conquêtes sociales n’avaient été obtenues qu’au prix de luttes tenaces, et que de nouvelles batailles attendent le mouvement syndical.

Jessica Tang : « L’union fait la force, au bénéfice de tous »
La présidente l’American Federation of Teachers Massachusetts (AFT‑MA), Jessica Tang, a pour sa part insisté sur le rôle central des syndicats dans la réduction des inégalités. Elle a rappelé que son organisation représente, avec d’autres, plus de 140 000 travailleurs de l’éducation et du service public à travers le Massachusetts.
Selon elle, l’accroissement du nombre de milliardaires – « plus de 700 de plus qu’il y a vingt-cinq ans » – illustre la concentration croissante des richesses, tandis que les familles ouvrières peinent à subvenir à leurs besoins les plus essentiels, qu’il s’agisse du logement, de l’alimentation, de la santé ou de la retraite.
« L’écart grandissant entre les salaires des PDG et ceux des travailleurs est indécent. Les syndicats sont attaqués parce qu’ils constituent le premier rempart contre ces inégalités. Mais notre combat ne vise pas seulement à améliorer le quotidien des syndiqués : il vise à bâtir une société plus juste pour tous », a-t-elle souligné.
Mme Tang a replacé la parade dans une perspective historique, chaque étape du parcours retraçant des épisodes majeurs de l’histoire sociale de Boston, depuis la création de l’école publique jusqu’aux grèves emblématiques qui ont marqué la ville.

L’éducation publique comme terrain de lutte
Le président du Syndicat des enseignants de Somerville, Dayshawn Simmons, est intervenu pour rappeler l’importance de l’éducation publique. Enseignant d’histoire et responsable syndical, il a souligné la nécessité de préserver l’école comme espace ouvert à tous :
« Nous affirmons d’une seule voix que tous les élèves sont les bienvenus dans nos écoles publiques. Nous leur garantissons dignité et respect, quelle que soit leur origine », a-t-il déclaré.
Simmons a également mis en avant plusieurs avancées obtenues récemment grâce à la mobilisation syndicale, parmi lesquelles l’amélioration des congés parentaux, la hausse des rémunérations pour les assistants pédagogiques et l’application de l’amendement du partage équitable destiné à renforcer le financement des écoles publiques.
Il a conclu en appelant les travailleurs à poursuivre leurs efforts collectifs : « Rêvons plus grand, luttons plus fort, car quand nous nous battons, nous gagnons.»

Maura Healey : défendre les acquis face aux menaces fédérales
La gouverneure du Massachusetts, Maura Healey, a clôturé la série d’interventions en soulignant l’importance historique du mouvement ouvrier dans la construction de la démocratie américaine.
« Ce qui a donné naissance à notre pays, ce fut la capacité des gens ordinaires à se dresser contre les puissants intérêts. Aujourd’hui encore, nous devons garder vivante cette tradition de solidarité et de résistance », a-t-elle rappelé.
La Gouverneure Healey a ensuite dénoncé les conséquences des politiques fédérales récentes, en particulier celles de l’administration Trump, qu’elle accuse d’avoir affaibli le financement de programmes essentiels, provoquant des pertes d’emplois dans la santé, l’éducation et les infrastructures.
« Donald Trump n’aide pas les travailleurs américains. Il sert les intérêts d’une poignée de milliardaires. Face à cela, nous devons rester unis et défendre nos emplois, nos familles et notre avenir », a-t-elle conclu.

ENCADRE HISTORIQUE
La Fête du Travail aux États-Unis : une histoire de luttes
La Fête du Travail (Labor Day) est célébrée chaque année le premier lundi de septembre aux États-Unis.
Selon le U.S. Department of Labor, la toute première parade a eu lieu à New York le 5 septembre 1882, organisée par la Central Labor Union. Plusieurs milliers de travailleurs y ont participé, entre 10 000 et 20 000 selon les estimations, donnant naissance à une tradition qui allait rapidement s’étendre.
Toujours d’après le Département du Travail, dès 1887, plusieurs États – dont l’Oregon, le Colorado, le Massachusetts et New York – ont adopté des lois instituant cette journée comme fête légale. Cette reconnaissance a ouvert la voie à une adoption nationale.
En 1894, à la suite de la violente grève de Pullman à Chicago, marquée par des affrontements meurtriers entre ouvriers et forces fédérales, le Congrès américain a voté à l’unanimité une loi instituant le Labor Day comme jour férié fédéral. Le président Grover Cleveland a signé ce texte le 28 juin 1894. Selon History.com, ce geste visait autant à honorer les travailleurs qu’à apaiser les tensions sociales après l’un des plus grands conflits ouvriers du XIXᵉ siècle.
Le choix de septembre, plutôt que du 1er mai comme dans de nombreux pays, n’est pas anodin. Selon Time Magazine, cette décision avait pour objectif de distinguer la fête américaine des commémorations internationales liées au mouvement ouvrier, jugées plus radicales, et de privilégier une approche plus consensuelle de la célébration du travail.
Enfin, l’identité du véritable « père fondateur » du Labor Day reste débattue. Selon plusieurs historiens cités par Wikipedia, certains attribuent l’idée à Peter J. McGuire, vice-président de la Fédération américaine du travail, tandis que d’autres soutiennent que ce fut Matthew Maguire, secrétaire de la Central Labor Union, qui organisa concrètement la première parade. La plupart des sources officielles considèrent cependant qu’il s’agit avant tout d’une création collective du mouvement ouvrier.




