Boston (State House) – 31 juillet 2025 – Par YVES CAJUSTE– InfoHaïti.net
REPORTAGE
Dans une période marquée par l’incertitude budgétaire au niveau fédéral et la compétition croissante de pays comme la Chine, la gouverneure du Massachusetts, Maura Healey, a dévoilé une stratégie visant à préserver et à renforcer la position de l’État comme leader mondial de la recherche, de d’innovation et des découvertes médicales.
Baptisée DRIVE (Discovery, Research and Innovation for a Vibrant Economy), cette initiative propose un investissement massif de 400 millions de dollars pour soutenir les établissements de recherche, stimuler la création d’emplois, et favoriser la collaboration entre universités, hôpitaux et entreprises.

Une réponse stratégique aux coupes fédérales
Lors d’une allocution prononcée à la mi-journée au pied du « Grand Staircase » au Massachusetts State House, entourée de parlementaires, de dirigeants d’universités, de chercheurs, de représentants syndicaux et de membres du secteur privé, la gouverneure Maura Healey a précisé que cette initiative vise à compenser les réductions des financements fédéraux, notamment dans les domaines de la santé publique et de la recherche.
Étaient également présents plusieurs membres de son cabinet, dont Matthew Gorzkowicz, secrétaire à l’Administration et aux Finances, le Dr Patrick Tutwiler, secrétaire à l’Éducation, Lauren Jones, secrétaire au Travail et au Développement de la main-d’œuvre, ainsi que le Dr Kiame Mahaniah, secrétaire à la Santé et aux Services sociaux
Selon une étude menée par le Donahue Institute de l’Université du Massachusetts (UMass), les quelque 9 milliards de dollars de financements fédéraux attribués chaque année à la recherche dans l’État génèrent plus de 16 milliards de dollars d’activité économique et soutiennent plus de 80 000 emplois à l’échelle du Commonwealth.
Pour la gouverneure Healey, ces données illustrent clairement que chaque dollar investi dans la recherche produit un effet multiplicateur significatif sur l’économie locale. Les retombées bénéficient à l’ensemble du tissu socio-économique — de l’hôtellerie à la restauration, en passant par le transport, la construction, les services juridiques, l’immobilier ou encore la fabrication d’équipements. Fait notable : deux emplois sur cinq issus de ces investissements se situent en dehors du secteur strictement dédié à la recherche et au développement.
Une mobilisation collective de “Team Massachusetts”
« Le Massachusetts est un moteur de progrès scientifique pour les États-Unis et pour le monde », a déclaré Maura Healey, soulignant avec force l’importance de préserver un écosystème d’exception, reposant sur l’interconnexion étroite entre universités de renommée mondiale, centres hospitaliers d’excellence, entreprises biotechnologiques innovantes et main-d’œuvre hautement qualifiée. L’initiative DRIVE incarne cette dynamique collective entre les secteurs public et privé, que la gouverneure désigne comme l’esprit de “Team Massachusetts”.
Dans sa mise en œuvre concrète, le programme DRIVE prévoit :
- Le financement de projets de recherche à fort impact portés par les universités, hôpitaux et instituts scientifiques ;
- Le soutien au recrutement et à la rétention des talents, notamment face à la concurrence internationale ;
- La stimulation des partenariats stratégiques avec le secteur industriel, en particulier dans les établissements publics d’enseignement supérieur ;
- La création d’un mécanisme de cofinancement, visant à mobiliser à la fois des fonds publics et des investissements privés pour maximiser l’effet de levier économique.
Des exemples concrets d’impact
La gouverneure Healey a mis en avant plusieurs exemples illustrant la portée de l’écosystème scientifique du Massachusetts. Elle a notamment cité Biogen, entreprise née de recherches menées au MIT et à Harvard, devenue aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de la biotechnologie. Elle a également évoqué l’UMass Chan Medical School, qui a reçu en 2024 plus de financements des NIH que 26 États américains. Cet établissement a vu deux de ses chercheurs récompensés par le prix Nobel – Craig Mello en 2006 et Victor Ambrose en 2024 – et s’est distingué par des avancées majeures dans le domaine de la biologie de l’ARN.
Maura Healey a également cité l’exemple d’Alnylam Pharmaceuticals, une entreprise issue des travaux de chercheurs de l’Université du Massachusetts, qui a implanté à Norton une usine de biofabrication de 200 000 pieds carrés, pour un investissement de 200 millions de dollars. Ce site a permis la création de plusieurs centaines d’emplois, dont une part significative accessible sans diplôme universitaire, tout en contribuant à dynamiser l’économie locale en générant des retombées pour les commerces et les services environnants.
Marty Meehan : ” un signal fort en faveur de la protection de l’excellence scientifique du Massachusetts “
Intervenant après la gouverneure Healey, le président du système universitaire du Massachusetts, Marty Meehan, a salué le caractère historique de l’initiative DRIVE. Selon lui, ce programme s’inscrit dans la lignée du partenariat stratégique noué après la Seconde Guerre mondiale entre le gouvernement fédéral et les universités américaines, qui a permis aux États-Unis de devenir une puissance scientifique et économique majeure.
L’ancien Chancelier de UMASS-Lowell a rappelé que le Massachusetts bénéficie chaque année de près de 9 milliards de dollars de financements fédéraux en recherche et développement, soutenant plus de 81 000 emplois et générant environ 8 milliards de dollars de revenus. Mais cet écosystème est aujourd’hui fragilisé. Il a notamment souligné que l’UMass Chan Medical School a récemment perdu 70 subventions accordées par les NIH, représentant plus de 42 millions de dollars, ce qui affecte des recherches essentielles sur les tumeurs cérébrales pédiatriques, la maladie d’Alzheimer, le cancer et les troubles liés à l’usage de substances.
Face à ce désengagement fédéral, Marty Meehan (ancien élu à la Chambre des Représentants des Etats-Unis de1993 à 2007) a mis en garde contre une fuite des cerveaux déjà amorcée, plusieurs chercheurs de haut niveau ayant été recrutés à l’étranger. Il considère que l’initiative lancée par la gouverneure Healey constitue un signal fort en faveur de la protection de l’excellence scientifique du Massachusetts, et un modèle dont d’autres États devraient s’inspirer
Dr. Kevin B. Churchwell : “Un message d’espoir pour les enfants et la science”
Dr Kevin B. Churchwell, président-directeur général du Boston Children’s Hospital, a mis en avant le rôle central de la recherche dans la mission médicale de son établissement. Avec plus de 3 000 chercheurs, le Boston Children’s est le plus grand centre de recherche pédiatrique au monde.
Il a rappelé que plusieurs vaccins essentiels comme ceux contre la poliomyélite et la rougeole ont été développés à partir de recherches initiées à Boston Children’s. Aujourd’hui, ses équipes explorent des thérapies géniques et des traitements pour des maladies comme la drépanocytose, le cancer pédiatrique ou la mucoviscidose.
Pour Dr Churchwell, professeur associé d’anesthésie pédiatrique 133 Harvard Medical School, le soutien de l’État est indispensable pour garantir un environnement stable et stimulant pour les chercheurs, à l’heure où les politiques fédérales manquent de vision à long terme, entraînant incertitudes et retards. Il a salué la vision stratégique de l’administration Healey-Driscoll et a plaidé pour que le Massachusetts reste “la meilleure destination mondiale pour la science”.
Frank Callahan : “Des carrières pour 75 000 travailleurs syndiqués”
Le président de la Massachusetts Building Trades Union, Frank Callahan, a salué une initiative qui dépasse largement le cadre des laboratoires et des centres de recherche. À ses yeux, l’initiative DRIVE représente une occasion unique de construire des carrières durables pour les quelque 75 000 travailleurs syndiqués du bâtiment à travers le Commonwealth.
Il a tenu à rappeler l’importance de métiers souvent invisibilisés dans les récits sur l’innovation scientifique : ouvriers du bâtiment, jardiniers, agents d’entretien, personnels administratifs et de restauration, autant de professions indispensables au bon fonctionnement des universités, des hôpitaux et des centres de recherche. Pour illustrer cette réalité, il a évoqué l’histoire de son voisin, un immigré italien aujourd’hui âgé de 93 ans, ancien jardinier à Harvard, qui a pu mener une vie digne et épanouie grâce à son travail dans ce secteur.
Frank Callahan a également souligné que le Massachusetts n’en est pas à son premier acte de leadership audacieux. Il a cité l’exemple de l’initiative sur les sciences de la vie lancée il y a plus d’une décennie par l’ancien gouverneur Deval Patrick. Ce projet, accueilli à l’époque avec scepticisme, a pourtant permis à l’État de s’imposer comme un centre mondial des biotechnologies.
Une ambition collective pour l’avenir
L’initiative DRIVE incarne une volonté partagée de bâtir un avenir économique plus résilient, équitable et durable pour le Massachusetts. En mobilisant 400 millions de dollars de fonds publics, en attirant des investissements privés, et en favorisant la convergence entre la science, l’industrie, l’enseignement supérieur et les métiers qualifiés, la gouverneure Healey entend positionner le Commonwealth comme un modèle d’excellence et d’innovation face aux grands défis contemporains.