ENTRETIEN AVEC MARISA RODRIGUES, DIRECTRICE DE CE PROGRAMME
Par YVES CAJUSTE – InfoHaïti.net
BROCKTON, Massachusetts, 29 juillet 2025 – Ce mardi, Yarlennys Villaman, directrice des affaires communautaires au sein du bureau de la gouverneure Maura Healey, a effectué une visite au camp d’été jeunesse « ME University », un programme éducatif innovant mis en œuvre par l’Association capverdienne de Brockton à Gilmore Elementary School.
« J’ai été particulièrement impressionnée par le modèle du programme estival de ME University, une initiative de l’Association capverdienne de Brockton (CVA), bénéficiaire du programme estival du Department of Conservation and Recreation (DCR). Ce programme adopte une approche à la fois créative et stimulante pour initier 200 jeunes aux domaines de l’entrepreneuriat, de l’innovation, du sport, de l’art et de la musique. Il est manifeste que cette initiative contribue à former les leaders de demain : certains des animateurs bénévoles actuels du camp sont d’anciens participants, témoignant ainsi de l’impact durable du programme et de la solidité des liens tissés au sein de la communauté. Nous avons été très reconnaissants de la visite qui nous a été offerte et avons apprécié l’occasion de mieux connaître cette organisation d’exception » a fait savoir Yarlennys Villama à la suite de cette visite.
Interview exclusive de Mme Marisa Rodrigues, directrice du camp et conceptrice de ce modèle pédagogique accordée à InfoHaÎti.net\MCTV

Au cours d’un entretien d’une trentaine de minutes, Mme Rodrigues a répondu à nos questions, présentant avec précision les fondements, la structure organisationnelle et les retombées de ce camp qui accueille, chaque été, près de 200 enfants âgés de 5 à 12 ans dans les locaux de l’école élémentaire Gilmore à Brockton.
Une université pour enfants : un dispositif pédagogique fondé sur l’expérimentation
« Je suis la directrice du programme, également appelée chancelière de ME University », lance Mme Rodrigues pour engager la conversation. Le camp, structuré sur six semaines, adopte un format universitaire où chaque enfant est inscrit à deux « majeures » (disciplines principales) parmi lesquelles figurent la musique, les sciences, le bien-être physique, l’histoire, les arts plastiques et le design, ainsi que les bases de la gestion d’entreprise. À ces enseignements s’ajoutent des « électifs » tels que la cuisine, l’agriculture, le théâtre, la mode, les langues étrangères, le bien-être ou encore la vie étudiante.
Des clubs thématiques, accessibles en après-midi, permettent aux enfants de s’adonner à diverses activités ludiques et éducatives : arts plastiques, jeux vidéo, sports collectifs (football, athlétisme, danse). « Notre objectif est d’offrir aux enfants une exposition variée à différentes disciplines, à l’instar d’une université. À mi-parcours, ils changent de majeure afin d’enrichir encore leur expérience », précise la directrice.
Une structuration hebdomadaire par thématiques
Le programme s’articule autour de thématiques hebdomadaires soigneusement choisies afin de favoriser l’expression de soi, l’imagination et la coopération entre les participants. La première semaine est dédiée à la connaissance de soi (« All About Me »), suivie d’une semaine centrée sur les superhéros, puis d’une semaine axée sur la résilience et l’endurance (« Survivor »). Viennent ensuite la semaine « Express Yourself », consacrée à l’expression personnelle, puis une semaine thématique autour de l’univers Disney. Enfin, la sixième et dernière semaine marque une phase de célébration et de clôture festive.
Chacune des journées de cette semaine finale est pensée comme un événement à part entière : le lundi, les salles de classe sont transformées en mini-salles de cinéma avec des stands de confiseries ; le mardi, un carnaval en plein air propose aux enfants une variété de jeux, de récompenses et de mets festifs ; le mercredi, un bal de type « homecoming » sur un thème féerique réunit les participants en tenue de soirée autour d’un repas convivial ; le jeudi est consacré à des tournois sportifs extérieurs ; enfin, le vendredi, une cérémonie de remise de diplômes dans une ambiance de fête vient clore le programme.
Une vision personnelle transformée en projet communautaire
Interrogée sur le choix de structurer le camp sous forme universitaire, Mme Rodrigues évoque un parcours personnel marquant : « J’étais une enfant timide. Ce n’est qu’à l’université que j’ai pu m’épanouir pleinement. J’ai souhaité que les enfants de Brockton aient la possibilité de vivre cette transformation beaucoup plus tôt. »
Active depuis plus de treize ans dans le programme, elle a procédé à une refonte pédagogique du camp lorsqu’elle a rejoint les écoles publiques de Brockton. Inspirée par ses observations professionnelles et ses échanges avec des collègues, elle a construit un modèle reposant sur la santé mentale, l’estime de soi, la créativité et la bienveillance. « Même un enfant de quatre ans peut comprendre les notions de santé émotionnelle, si les mots sont bien choisis », insiste-t-elle.
Un espace déconnecté, favorisant les relations humaines
Dans un monde où les enfants sont quotidiennement exposés à de multiples sollicitations numériques, ME University se démarque par sa politique volontaire de « déconnexion ». L’usage des technologies est strictement limité à certaines activités musicales ou projections exceptionnelles. « Pas de tablettes, pas de téléphones », affirme Mme Rodrigues. Les téléphones du personnel sont remis en début de journée et uniquement récupérés durant les pauses ou à la fin de la journée. Cette règle vise à renforcer la qualité des interactions humaines : « Ici, on est amené à dialoguer, à se déplacer, à tisser des liens véritables. »
Une stratégie de valorisation des comportements positifs
Afin de promouvoir une culture de respect et de responsabilité, le camp a instauré une méthode incitative permettant aux enfants d’accumuler des points qu’ils peuvent échanger contre des articles dans le magasin scolaire (friandises, accessoires, fournitures). « Ce mécanisme permet d’encourager les attitudes positives et de prévenir les comportements perturbateurs », explique la directrice.
Une équipe rigoureusement sélectionnée
Le personnel du camp est composé à la fois d’animateurs rémunérés et de bénévoles, en grande majorité issus de la communauté locale. Le processus de recrutement est exigeant : dépôt de candidature, entretiens individuels, évaluation de la capacité à interagir avec les enfants, adaptabilité, flexibilité.
Les jeunes bénévoles, principalement étudiants et lycéens, souvent trop âgés pour participer comme campeurs et trop jeunes pour être encadrants, sont intégrés à un programme de mentorat. Ils acquièrent ainsi des compétences précieuses dans un environnement encadré. « Certains, très introvertis au départ, finissent par s’épanouir pleinement et restent plusieurs années », souligne Mme Rodrigues.
Une formation intensive de trois jours est dispensée à l’ensemble du personnel avant l’ouverture du camp. Elle inclut des mises en situation, des stratégies d’intervention éducative et des procédures d’urgence. Un système de codes de couleur permet de signaler discrètement les incidents (urgence médicale, conflit, débordement logistique), assurant ainsi une gestion fluide et sereine du quotidien.
Une culture institutionnelle fondée sur la bienveillance
La « chancelière » évoque régulièrement les enfants du programme en les qualifiant de « ses enfants ». Interrogée sur cette appellation, elle répond sans hésiter : « Je suis née et j’ai grandi ici, à Brockton. Cette communauté, c’est la mienne. Je connais chacun de ces enfants par leur prénom, et je les considère comme s’ils étaient les miens. »
Cette approche bienveillante s’étend également aux membres de son équipe. « Je rappelle aux enfants qu’ils doivent respecter les animateurs, et vice versa. Nous construisons ici une culture fondée sur la bienveillance, le respect mutuel et le dialogue. »
Une évaluation continue et participative
Chaque année, une évaluation participative est conduite auprès des enfants, en dehors de la présence des animateurs. « Ils sont les premiers concernés. Ce sont leurs retours qui nous guident dans l’adaptation des contenus », affirme Mme Rodrigues. Ce processus d’écoute a notamment conduit à la transformation du « magasin scolaire » en un espace attrayant, répondant aux attentes exprimées par les jeunes.
La direction procède chaque année à des ajustements logistiques, pédagogiques et structurels pour améliorer l’expérience. Mme Rodrigues souligne également l’importance du soutien de son équipe administrative : « Grâce à leur appui, je peux enfin dormir paisiblement, sachant que le programme fonctionne et que les enfants sont entre de bonnes mains. »
Une reconnaissance grandissante des familles
Le programme reçoit un soutien constant de la part des familles. « Certains enfants arrivent avec des besoins particuliers. D’autres vivent leur première expérience de socialisation en dehors du cercle familial. Nous leur offrons un accompagnement individualisé, y compris en investissant dans du matériel spécialisé (comme des écouteurs antibruit) pour favoriser leur inclusion », explique la directrice.
Les retombées perçues par les familles renforcent la légitimité de l’initiative. Plusieurs parents, après avoir constaté les effets positifs du programme sur leurs enfants, recommandent ME University à leur entourage ou y inscrivent d’autres membres de la famille. « Nous faisons partie intégrante du tissu communautaire. Certains parents me contactent même en soirée. Nous formons une grande famille élargie. »
La visite de Yarlennys Villaman du Bureau de la gouverneure Healey constitue une reconnaissance significative du travail accompli. « Je ne sais pas comment ils ont entendu parler de nous, mais je suis profondément honorée. Cela signifie que nos efforts sont visibles », conclut Mme Rodrigues.