Wednesday, May 8, 2024
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Pour saluer le départ de mon frère, mon ami Bernardin Isidore

Définitivement, le 11 septembre est un jour de peine et de souffrance. Innombrable est le chiffre  des personnes tombées en ce jour-là à travers le monde, notamment au Chili, aux Etats -Unis, et en Haïti. Cette année encore, la guillotine de la mort n’a pas chômé. Elle vient de frapper de plein fouet ma famille emportant sur son passage, le 11 septembre dernier à Montréal mon grand frère Bernardin Isidore. Cette disparition est pour moi personnellement un véritable coup de massue, car j’ai eu des rapports privilégiés avec lui.

Définitivement, le 11 septembre est un jour de peine et de souffrance. Innombrable est le chiffre  des personnes tombées en ce jour-là à travers le monde, notamment au Chili, aux Etats -Unis, et en Haïti. Cette année encore, la guillotine de la mort n’a pas chômé. Elle vient de frapper de plein fouet ma famille emportant sur son passage, le 11 septembre dernier à Montréal mon grand frère Bernardin Isidore. Cette disparition est pour moi personnellement un véritable coup de massue, car j’ai eu des rapports privilégiés avec lui.  C’est un coup dur pour la famille qui a perdu plusieurs de ses membres en l’espace de deux ans.

Parler de mon frère Bernardin prendrait toute une éternité.
Les mots de Sheila me servent d’introït et de porte d’entrée
«Vingt- quatre heures par jour ce ne serait pas suffisant.
Il me faudrait disposer d’un siècle par an ».
Il m’est pénible aujourd’hui de conjuguer au passé
ma relation d’amitié et de fraternité
avec ce frère bien-aimé.
Pour lui, le temps s’est arrêté
Et il a pris le vol pour l’éternité.

Bernardin n’était pas seulement mon frère. Il était mon ami, mon protecteur. On pouvait tout se dire. Il était prêt à tolérer mon tempérament taquin.  Je pouvais le taquiner à tout bout champ et jamais il n’allait pas se fâcher. Notre relation était si harmonieuse que lorsqu’il pensait à fonder un foyer, je me permettais en tant petit frère de lui indiquer la jeune fille qu’elle devait courtiser et épouser.  Et il avait suivi à la lettre mes conseils.

Bernardin Isidore est né à Thomassique le 01 juin 1957.  Fils de François Isidor et de Lucita Isidor née Dubuisson, il était le 3e né d’une famille de 10 enfants. Doué d’une intelligence extraordinaire, il occupait presque toujours la première place lors de la remise des carnets. Après son cycle primaire à l’Ecole Sainte Thérèse de Thomassique en 1970, il s’est rendu à Hinche au lycée Dumarsais Estimé pour poursuivre ses études. Il rêvait déjà de devenir médecin.  Il était en 5e secondaire quand en décembre 1971, il est atteint d’une fièvre typhoïde. En dépit des efforts de notre feu père auprès des médecins à l’hôpital Sainte Thérèse de Hinche, à l’hôpital Albert Schweitzer de Deschapelles, à la Polyclinique de Turgeau à Port-au-Prince, il est devenu sourd des suites de cette terrible maladie. Il n’a pas pu  continuer ses études ; car avec un tel handicap à cette époque en Haïti, les chances d’avancement sur le plan académique étaient presque, au point mort. En effet, Il tentait de retourner au lycée, mais le censeur d’alors lui a signifié une fin de non-recevoir.  C’était un moment très pénible pour lui. ’’Ma vie n’a aucun sens, je n’ai pas d’avenir, tout est sombre pour moi….’’ se lamentait-il.

Après une période d’apitoiement, il allait reprendre courage en adoptant la foi et le mode de vie adventistes et s’adapter à la réalité en se tournant vers les métiers manuels. Suivant le sillage de notre papa, il va s’adonner à l’ébénisterie, l’agriculture et l’élevage. Il se disait « quand on n’a pas le métier qu’on aime, il faut aimer le métier qu’on a ». En 1977, il s’est retrouvé une nouvelle fois à Hinche pour une formation en construction bâtiment et béton armé. En tant que contremaitre, il a joué un rôle prépondérant dans la construction de nombreux édifices notamment le Collège Saint Martin de Porres. 

Bernardin avait un gout particulier pour les choses de l’esprit. Son incapacité d’intégrer le créneau institutionnel de formation classique et sa déficience auditive constituaient un obstacle majeur sur sa route de développement intellectuel et académique. En guise de compensation, il s’est livré aux livres en vue de parfaire son éducation.  Il est devenu autodidacte. Il ne se passait un jour sans qu’il ne lise quelque chose notamment la sélection reader’s digest, le Petit Samedi Soir ou le journal créole Bon Nouvel. L’étude quotidienne de leçon de l’école du sabbat lui procurait un outil additionnel pour satisfaire sa quête spirituelle et sa soif intellectuelle.

Dynamique et fidèle à ses convictions religieuses, il a mis tout son être au service de son église. Il a été tour à tour secrétaire/moniteur/directeur de l’école du sabbat, directeur de jeunesse, directeur des activités laïques. Bernardin était un prédicateur bien articulé et ses sermons ont encouragé et affermi la foi de beaucoup de membres à l’Eglise Adventiste de Thomassique. C’est grâce à son ministère que plusieurs localités de Thomassique ont pu faire connaissance du message Adventiste. Il occupait la fonction de conducteur d’église avant son départ pour le Canada en 1989.  A Montréal, il fréquentait différentes églises notamment St-Léonard, Bethesda et Mont-Sinaï.

 

Bernardin a joué un rôle prépondérant dans le développement académique de ses frères et sœurs.  Il avait un sens aigu de l’économie et de la gestion rationnelle des fonds.  Quand notre feu père fit face à des difficultés lors des grandes rentrées scolaires d’octobre et de janvier, c’est Bernardin qui venait toujours à la rescousse en nous avançant de l’argent  notamment pour les frais de loyer et de scolarité.  

 

Tout jeune, Bernardin prenait position en faveur des faibles. Son sens d’équité et de justice était sans faille.  Il était toujours aux prises avec les chefs de section, les militaires, les macoutes, les officiers d’état civil et les collecteurs d’impôts quand tous ces derniers violent systématiquement les droits des paysans en les maltraitant ou en leur faisant payer des taxes additionnelles non autorisées par la loi.  A l’époque c’était un grand risque pour sa vie et pour toute la famille car on était en pleine dictature. Défier une autorité, un chef de section et des tontons macoute sous Duvalier c’était une question de vie ou de mort. En 1986, avant le départ de Duvalier, Bernardin va être jeté en prison avec plusieurs jeunes de Thomassique pour avoir dénoncé les atrocités du régime et la dictature. Il allait être relâché quelques jours après, soit le 7 février.

En 1987, il fut nommé vice-président du bureau électoral de Thomassique. En 1988, il épousait la ravissante Adeline Archange qu’il aima beaucoup. De cette union naquit trois enfants : Mych-Ev Vilendzsa, Andris Butler et Kylendz Eliyakim. Rude travailleur, il était un vrai mari, un père soucieux du bonheur de sa femme et de ses enfants. Pour l’avancement de la famille, il a pris le risque calculé de s’établir au Canada. Polyvalent, il a roulé sa bosse dans plusieurs manufactures à Montréal.  Il n’a pas mis beaucoup de temps pour régulariser son statut et permettre aux membres de sa famille de le rejoindre.     

Intellectuel dans l’âme, parallèlement à son travail, il va reprendre le chemin de l’école en décrochant avec brio son diplôme de fin d’études secondaires. Ce fut pour lui un moment inoubliable, un accomplissement extraordinaire car il allait réaliser le rêve cher de terminer ses études classiques, rêve brisé en 1971, dû au manque de véritables structures d’accueil et d’un milieu favorable d’apprentissage en Haïti pour les apprenants malentendants.  Son gout pour l’excellence académique le poussait à viser plus haut.   Dans la quarantaine, Il s’est rendu au CEGEP et a complété une étude collégiale en télécommunications. Touche à tout, il  s’est attelé à explorer d’autres options et a obtenu plusieurs autres diplômes dans des domaines variés tels que la construction générale, le briquetage et le carrelage. Nombreux sont ceux qui ont bénéficié de son talent et de ses connaissances dans le domaine de la construction et de la rénovation. Il était apprécié pour sa méthode et sa finesse de travail.

Homme courtois, d’une sagesse sans faille, calme, doux et conciliant, Bernardin avait toutes les qualités d’un conseiller matrimonial. Il était un pilier, une personne-ressource, un cerveau, un mentor. Doué d’une intelligence fonctionnelle et pratique, il réfléchissait toujours pour résoudre les problèmes de son environnement. Homme de parole avec un sens aigu de responsabilité, il négligeait des fois ses propres activités pour se mettre au service des autres. Il prenait plaisir à aider les autres à rechercher un emploi, à rédiger un CV, ou à remplir un formulaire d’immigration ou d’impôts. Il était un homme d’action et d’initiative. Lors de la mort de notre père en 2012, Bernardin a fait un arrêt à Thomonde pour y voir ses cousins et cousines. Il trouva un cousin découragé, faisant face à la maladie de cataracte. Rentré au Canada, Bernardin m’a appelé pour me dire « Notre cousin est aveugle. Il nous faut un geste de solidarité familiale en sa faveur ». La famille Dubuisson doit lever ce défi. Sinon notre cousin va sombrer dans le chagrin et mourir, ajoutait-il.  Presto, il a fait ouvrir un compte de solidarité à Bank of America et s’est chargé d’appeler tous les cousins et cousines de la famille Dubuisson. En attendant la contribution collective, il a avancé des fonds personnels pour faire chercher le cousin, l’emmener à Port-au-Prince pour y voir un spécialiste et commencer le traitement. Tout se passait comme Bernardin avait prévu. Notre cousin a subi l’opération chirurgicale avec succès, et la cataracte a été enlevée. Recouvrant la vue, notre cousin n’a cessé de le remercier pour cet acte de solidarité agissante.

 

Bernardin prodiguait des conseils sur des sujets variés tels que l’entrepreneurship, les relations conjugales, l’e-commerce et l’investissement immobilier. Il se défonçait toujours et passait des heures sur l’internet à collecter la bonne information en vue d’aider les autres à prendre la bonne décision lors de l’achat d’une voiture ou d’une maison. Il encourageait toujours les jeunes et les adultes à viser l’excellence et à prendre, au gré de leurs possibilités, le chemin de l’école et de l’université  en vue  d’une meilleure intégration à la vie montréalaise. Son message pour les jeunes était simple « Qui s’instruit, s’enrichit».

Bernardin était un homme jovial, sympathique, cool et tranquille. Il avait toujours le sourire aux lèvres et embrassait la vie toujours avec un brin de positivité. Il était de bonne compagnie. Tout le monde l’appelait Boss Bab, car il laissait pousser sa barbe. Il suffit de faire sa connaissance seulement quelques minutes pour avoir une connexion avec lui et en garder des souvenirs inoubliables. Tous ceux qui avaient la chance de le côtoyer peuvent témoigner de son sens de l’humour et de sa capacité à créer la joie et la bonne humeur dans sa sphère d’activité.

Bernardin était un homme de projets, un entrepreneur. Il pensait déjà à sa retraite en Haïti. D’une imagination fertile, il travaillait déjà sur un projet d’usine de fabrication de blocs vibrés et la construction d’un village confort moderne à Thomassique. C’est dans ce contexte qu’il s’est rendu en Haïti au début de l’année pour une visite de prospection, d’exploration et d’action. Il devait écourter son séjour là- bas à cause d’une douleur aigue au niveau des membres inférieurs et d’une toux sèche. Il allait rentrer en urgence à Montréal pour les soins que nécessite son cas.

C’est comme hier, lorsque le 20 avril 2014, Bernardin m’a envoyé un texto pour me dire : « Ives Je suis à l’hôpital atteint de pneumonie. Les médecins pensent faire des tests avancés pour voir s’il y a des cellules cancéreuses. Je n’ai rien encore dit à ma femme. Si seulement  elle entend le mot cancer elle va être affolée». Le 22 avril, la nouvelle est tombée comme un couperet. Les médecins parlent de néoplasie pulmonaire stage avancée. Les chances de survie pour cette condition est quasi nulle. C’est la consternation dans la famille, car Bernardin  n’a jamais fumé dans sa vie. 

Malgré ce diagnostic, Bernardin était confiant que Dieu avait un plan spécial en sa faveur. Il entamait avec optimisme le plan de soins conseillé par les médecins en espérant vaincre la maladie et continuer ses projets en Haïti. Après les premières séances de radiothérapie, sa condition se détériorait. Depuis lors, c’était un va et vient incessant entre l’hôpital et la maison. Son combat pour la vie et sa foi inébranlable en Dieu au milieu de cette douloureuse épreuve demeurent une source d’inspiration pour tous ceux qui ont eu la chance de le visiter.  Jamais il ne doutait de la puissance divine. Mais il était prêt à accepter la volonté de Dieu.  Il a affronté son épreuve avec cran. Si l’on savait attribuer un prix Nobel de courage, de lutte, de foi et de fermeté durant la maladie, Bernardin l’aurait emporté, haut la main. Son esprit le poussait à agir et à vivre mais son corps n’en pouvait plus. Epuisé, notre frère a rendu le dernier soupir à l’hôpital Notre Dame de Montréal le jeudi 11 septembre 2014 à 5 :35 pm à l’âge de 57 après une courte maladie courageusement et chrétiennement supportée.

La mort de Bernardin est une perte énorme pour la famille Isidor/Dubuisson, un véritable choc pour la ville de Thomassique et la communauté haïtienne de Montréal. Aujourd’hui nous saluons le départ de notre frère Bernardin. Il est parti pour l’éternité mais sa mémoire sera comme une encre indélébile dans notre cœur. Bernardin nous a laissé certes, mais ses œuvres, sa passion et ses projets de développement resteront toujours gravés dans le cœur de la communauté de Thomassique et au  niveau des membres de l’Eglise Adventiste de Saint Léonard, de Bethesda et de Mont-Sinaï.

Bernardin a fait œuvre qui vaille pour sa communauté. Sa femme, ses enfants et ses frères et sœurs se doivent d’embrasser ses idées et prendre la relève pour continuer à allumer la flamme de sa vision et à hisser haut et fort l’étendard des actions qu’il avait entamées.

 

Pour terminer, je voudrais paraphraser les propos  du poète français Victor Hugo prononcé aux funérailles de M. Honoré de Balzac le 29 août 1850. ” Les grands hommes font leur propre piédestal; l’avenir se charge de la statue. Voilà ce qu’a fait Bernardin parmi nous. Voilà l’œuvre qu’il nous a laissée, œuvre haute et solide, robuste entassement d’assises de granite, monument, œuvre du haut de laquelle resplendira désormais sa renommée. “

 

Ives Isidor, 21 sept 2014

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