Tuesday, May 21, 2024
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Référendum ?

Par référendum en date du 29 mars 1987, le peuple haïtien s’est donné une nouvelle Constitution pour établir un nouveau régime politique après l’ordre dictatorial qui a marqué le pays entre le 22 octobre 1957 et le 7 février 1986.Et paradoxalement, la nouvelle Charte, en son article 284-3 interdit “Toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de Referendum…”

Mais voilà que le Pouvoir Exécutif vient de convoquer le peuple en ses comices pour élire un nouveau Président alors qu’il n’y a jusqu’à date, qu’un seul candidat consentant. Ne peut-on pas assimiler cette tentative à un referendum? En lieu et place du bulletin avec les photos de Jovenel Moïse qui ne peut pas attendre pour recevoir l’écharpe présidentielle et de celle de Jude Célestin qui s’y trouvera contre son gré, ne vaut-il pas mieux poser la question aux potentiels votants, à savoir: voulez-vous que Jovenel Moïse soit le prochain Président de la République pour les cinq prochaines années? On mettra une case à cocher OUI et une autre NON…

UN PARFUM DE FIN DE RÈGNE…

L’actuelle période a un parfum de fin de règne. Le pouvoir semble aux abois, paniqué, énervé. Rattrapé par le temps, dans une accélération sans précédent, il publie le décret de convocation du peuple dans ses comices, numéro spécial du Journal Le Moniteur avec les résultats définitifs du forfait du 25 octobre et passe une vitesse supérieure pour tenter de faire passer une pelletée de Décrets qui aurait accordé décharge pour absoudre les membres des différentes administrations Martelly, heureusement que la décence ait eu raison de l’appétit et de l’inquiétude de ceux qui tremblent dans la perspective de rendre compte de leur gestion des fonds publics…

Et, dans la pure tradition des fins de règne en Haïti, les rumeurs remplissent les murs des résidences et des conversations sur les réseaux sociaux qui caricaturent une cour des Borgia en mettant dans la bouche des tenants du pouvoir au Palais national des invectives et des insanités courantes dans les cercles mickistes. Des réparties qui feraient rougir les marchandes de poisson ambulantes qui n’ont pas leur langue dans leur poche quand il faut contrer des clients radins qui rabaissent la valeur de leur marchandise…

Comment des gens sensés peuvent-ils être si désespérés pour penser pouvoir entrainer tout un pays dans une aventure sans aucune issue? Comment le Conseil des Ministres peut-il, à la majorité de ses membres, sans faire preuve d’aucune lucidité ni d’aucune indépendance d’esprit, apposer sa signature au bas d’une telle infamie? Solidarité dans la bêtise?

Et comment les neuf membres du Conseil Électoral Provisoire peuvent-ils s’avilir à convoquer des élections sans que la condition principale pour qu’il y ait élection ne soit remplie? Au nom de quelle motivation s’associent-ils à la folie d’un Président de la République aveuglé par ses seuls intérêts, sans aucun égard pour la nation et pour son devenir?

LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE ET LES NATIONS UNIES SOUTIENNENT L’INNOMABLE EN HAÏTI.

Comment les nations de référence du Core Groupe et les Nations Unies peuvent-elles encourager un tel délire? Comment des pays qui se présentent toujours comme les parangons de la démocratie pour le sauvetage duquel ils déploient des troupes pour faire tomber des dictateurs obscurantistes; ils entrent en guerre, bombardent et détruisent des pans entiers de cités antiques ou modernes, faisant sans égard des victimes dans les rangs des combattants comme dans la population civile innocente…. Au nom de quelle logique soutiennent-ils l’innommable en Haïti?

Nous n’avons pas les réponses. Nous ne savons pas ce qui lie Michel Martelly à ses alliés de la communauté internationale, quelles promesseS il les a faites pour qu’après avoir passé cinq ans à déconstruire tout ce que les démocrates haïtiens ont construit à coup de sang et au prix de tous les sacrifices pendant les trente années de la transition démocratique, pour qu’ils continuent à le soutenir et à le porter à bout de bras pour qu’il devienne un acteur incontournable en dehors du pouvoir?

Michel Martelly n’a organisé aucune élection en cinq ans pour renouveler les institutions. Les seules qu’il a été forcé de réaliser en fin de mandat, portent la marque de la fourberie, de la fraude massive, des irrégularités inacceptables, du déni de démocratie et de la libre expression de la souveraineté populaire. Autant de marques qui, répertoriées ailleurs, ont toujours indisposé les observateurs internationaux. Mais ici, l’Union Européenne, les États-Unis, le Canada, la France et les autres n’y voient aucun inconvénient. Dans leur vision de nous autres Haïtiennes et Haïtiens, nous ne méritons pas mieux, c’est ce qui nous convient…La communauté internationale semble avoir deux lunettes pour regarder le monde. Une où elle s’arc-boute aux valeurs universelles de la démocratie et qui la fait déclencher les mécanismes de défense desdites valeurs; une autre pour regarder Haïti la misérable, l’État failli qui peut s’accommoder de l’à peu près, de l’approximatif, du “pitit pa bezwen sanble ak papa” ( tout n’a pas besoin d’être parfait)…

C’est à nous autres citoyennes et citoyens d’Haïti de dire non à l’inacceptable, car les étrangers qui ont un rôle démesuré dans les questions haïtiennes deviennent peu exigeants quant au respect des normes et des principes, quand cela s’applique à notre pays.

Nous devons trouver nos propres réponses au pouvoir de Michel Martelly supporté par ses alliés de toujours, ceux-là mêmes qui l’ont enfanté. Nous avons aujourd’hui le devoir de ne pas répondre à la convocation inique et infamante du Président de la République qui veut organiser un referendum à la place d’élections régulières qui exigent, dans l’idée de compétition décente, deux candidats consentants.

Si nous transposons la situation politique sur le terrain sportif, c’est comme un match de football où l’une des équipes désiste et ne se présente pas. Dans ce cas, la Fédération en question, dans le jargon de ce sport, départage les deux équipes sur le tapis vert. En créole on parle de “fòfè”, yo tire fòfè sou FICA, par exemple!

Ce que l’Administration Martelly et le CEP s’apprêtent à faire le 24 janvier, en convoquant le peuple en ses comices de manière indue, s’assimile à un “forfait” que l’on “tirera” contre Jude Célestin qui impose des conditions dont le pouvoir est incapable de tenir compte.

Mais ce que le pouvoir et ses tenants ne doivent pas oublier, c’est que dans le cas d’un match dont le résultat est décidé dans les salons de la Fédération de Football, il n’y a pas de spectateurs. Aussi, le 24 janvier prochain, dans le cas où le pouvoir poursuit sa logique absurde jusqu’au bout et si rien ne vient le contrarier, le peuple restera chez lui et apprendra le résultat par la voie des ondes, comme d’habitude. Ainsi, comme les conditions primaires pour qu’il y ait élection n’existent pas, c’est-à-dire, deux candidats pleinement consentants et faisant campagne pour obtenir le suffrage du peule, il n’y aura pas de votants suicidaires pour se transformer en dindon de la farce. En aucun  cas, le peuple ne doit apporter sa caution à une agression contre sa souveraineté dont il est le seul détenteur authentique.

DE LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE…

Pourquoi les citoyennes et citoyens devraient-ils laisser l’inconfort ou le confort de leur maison pour aller participer à une opération antidémocratique? Le peuple, dans ce cas a le devoir de s’abstenir pour ne pas cautionner ce que le militant politique “mèt teren” d’antan, Evans Paul, avait l’habitude de qualifier d’élection ou d’opération “chanpwel”!

Mais en parlant de ce dernier, n’y a-t-il pas lieu, aujourd’hui, en dépit du fait qu’il ait signé l’arrêté de convocation du peuple en ses comices, en sa qualité de Premier ministre, n’y a-t-il pas lieu, qu’au nom des valeurs démocratiques qu’il a toujours défendues et qui lui a donné l’étoffe pour venir sauver la dernière année de la Présidence de Michel Martelly, qu’il démissionne?

Il n’est pas trop tard non plus pour les membres du Conseil Électoral Provisoire encore capables de sursaut patriotique, de se démarquer de ce complot contre la nation. Ce faisant, comme lors de son procès en 1953, ils pourront dire comme le jeune révolutionnaire à l’époque, Fidel Castro, “l’histoire m’absoudra”…

Le 24 janvier prochain, la nation haïtienne en mode de désobéissance civile active doit donner une bonne leçon de civisme et de patriotisme au pouvoir “Tèt Kale”. Mais avant cette date fatidique, nous ne nous faisons pas d’illusion sur le patriotisme des Députés et Sénateurs contestés, issus des dernières élections frauduleuses. La logique de “chapeau légal” et d’endossement fera que les partis politiques, même s’ils le voulaient ne pourront pas dissuader ceux qui se sont présentés sous leur bannière de refuser d’incorporer la 50ème Législature.

Si cette rentrée parlementaire a lieu sans encombre, le pouvoir va penser avoir gagné une première manche. Raison de plus de lui asséner un camouflet le 24 janvier 2016 pour mettre fin au rêve de pérennité de Michel Martelly obtenue par la fraude électorale.

 

 

Cet éditorial a été initialement diffusé au Journal de 17:00 de Radio IBO le jeudi 7 janvier 2016

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