Saturday, April 27, 2024
HomeGeneralQu’est-ce que l’extrême-droite haïtienne ?

Qu’est-ce que l’extrême-droite haïtienne ?

(Première partie)
Droite, gauche, et centre sont des appellations qui sont historiquement marquées. Elles correspondent à la répartition des sièges lors de la réunion des Etats Généraux en France en 1789 où la noblesse s’asseyait à la droite du roi et le Tiers-Etat à sa gauche. Généralement, durant les débats, les nobles les plus conservateurs (les réactionnaires) soutenaient les opinions du roi, les parlementaires les plus révolutionnaires étaient opposés aux opinions du roi et ceux qui étaient au centre essayaient de faire des compromis.

(Première partie)
Droite, gauche, et centre sont des appellations qui sont historiquement marquées. Elles correspondent à la répartition des sièges lors de la réunion des Etats Généraux en France en 1789 où la noblesse s’asseyait à la droite du roi et le Tiers-Etat à sa gauche. Généralement, durant les débats, les nobles les plus conservateurs (les réactionnaires) soutenaient les opinions du roi, les parlementaires les plus révolutionnaires étaient opposés aux opinions du roi et ceux qui étaient au centre essayaient de faire des compromis.
C’est ainsi que ces étiquettes ont pris naissance. Les catégories politiques  en sont venues à être décrites comme un continuum où la gauche désignait à un bout, ceux qui défendaient des vues prônant le changement social, l’égalité, la révolution ; et à l’autre bout, la droite désignait ceux qui défendaient la tradition et le conservatisme. Gauche, droite, centre et leurs prolongements (extrême-gauche, extrême-droite, centre-droit, centre-gauche) constituent les catégories de base de la pratique politique formelle dans les démocraties occidentales. En fait, elles se réfèrent à des idéologies et à des valeurs qui sont monnaie courante dans toutes les sociétés du monde. Par conséquent, on devrait les retrouver partout mais avec des variantes qui sont légèrement différentes dans des sociétés différentes selon l’histoire, la géographie et la culture de ces sociétés.

Traditionnellement en Occident, les valeurs et les idées défendues par la droite sont : « l’ordre social », la famille, la tradition, le nationalisme, un gouvernement « fort ». Celles qui sont défendues par la gauche sont : l’égalité, le progrès, l’inclusion sociale, la solidarité, la redistribution des  richesses. L’extrême-droite et l’extrême-gauche traditionnellement défendent respectivement ces mêmes valeurs mais elles sont portées à l’extrême.  L’extrémisme de droite se réfère au radicalisme poussé à l’extrême de ces valeurs et de ces idées de la droite que je viens de définir. Par exemple, de nos jours, dans la plupart des pays occidentaux industrialisés (France, Pays-Bas, Finlande, Suède, Autriche, Etats-Unis…), l’extrême-droite se réfugie dans un nationalisme exagéré et est en train de développer une idéologie fortement anti-immigrante. En France, Marine Le Pen et le Front National (FN) fustigent les immigrants qu’ils rendent responsables du « déclin » de la France, de la perte de « l’identité nationale » et du chômage qui fleurit dans la société française. Il y a eu en France au cours de ces quatre dernières années un débat extrêmement bruyant autour de la question de ce qu’on a appelé « l’identité nationale ». En effet, un décret en date du 18 mai 2007 créa le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire mais il souleva tellement de protestations de la part de certains intellectuels français et étrangers à cause de l’association des termes « identité nationale » et « immigration » que le terme  « identité nationale » fut supprimé. Actuellement, le nom de ce Ministère est « Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, l’asile et le Développement solidaire ». Aux Etats-Unis, où la tradition de l’extrême-droite est solide et violente (Ku-Klux-Klan), on joue actuellement sur le même registre avec les extrémistes du « Tea Party » qui ne font pas de quartier au président Obama et qui franchissent chaque jour un pas de plus dans la violence armée. Il arrive même que la droite classique ou libérale s’allie à l’extrême-droite pour chasser les immigrants dans l’intérêt de ce qu’elle appelle « l’unité nationale ». Cette tendance est affichée dans beaucoup de sociétés occidentales avancées. Il existe très peu de pays occidentaux industrialisés qui n’affichent pas une politique anti-immigrante en 2011. C’est vrai que chez beaucoup d’entre eux les enjeux électoraux sont pressants et certains analystes l’expliquent ainsi, mais il y a toujours eu des enjeux électoraux dans les démocraties occidentales et cela n’a pas toujours été ainsi.

Partant du principe que les étiquettes droite, gauche, centre, se réfèrent à des idéologies et à des valeurs qui se retrouvent dans toutes les sociétés, nous faisons l’hypothèse  qu’il existe aussi dans la société haïtienne des individualités et des groupements politiques qui se réclament de ces valeurs et de cette idéologie. Comment se manifestent les idéologies de la droite et de l’extrême-droite en Haïti ? En quoi consistent-t-elles ? Qui les représente ? Est-ce que l’extrême-droite haïtienne possède ses propres doctrinaires qui ont exposé leurs positions sur l’échiquier politique haïtien ? Quels sont ses objectifs ? Quels sont les moyens dont elle dispose pour arriver à ses fins ?

En Occident, si les appellations droite, gauche, centre, sont relativement faciles à définir en raison de l’existence d’idéologues de ces catégories politiques qui ont élaboré leurs positions et fourni de la matière à discuter, la situation est tout autre en Haïti. Il existe très peu de littérature relative à l’extrême-droite haïtienne. On est obligé de se référer à la pratique de certaines individualités pour constituer une doctrine de l’extrême-droite haïtienne.

On peut cependant essayer de dérouler les fils conducteurs de la droite haïtienne à travers l’histoire, fils conducteurs qui nous permettront de saisir en quoi consiste l’extrême-droite haïtienne. Tout d’abord, les conditions de formation de la société haïtienne qui a pris naissance à partir du premier  janvier 1804 nous permettent de constater qu’il y a eu dès le départ une division sociale nettement tranchée qui a assuré la reproduction  d’une idéologie coloniale fondée sur l’exposition claire et sans honte aucune des inégalités sociales les plus tranchées, du racisme ou du colorisme et de la répression politique violente et féroce. Les héritiers de l’ordre colonial qui partageaient le pouvoir avec Dessalines n’ont pas hésité à se débarrasser de lui quand il s’était mis en tête de redistribuer le capital terrien avec les esclaves bossales (cf. le fameux cri de Dessalines « Et les pauvres esclaves dont les pères sont en Afrique, ils n’auront donc rien ! »).

Il n’est pas exagéré de dire que l’assassinat de Dessalines en 1806 représente le premier acte politique posé par les représentants de la catégorie politique haïtienne qui s’affiche  de la façon la plus extrême comme le groupe refusant l’égalité et la redistribution des richesses dans une société fortement marquée par l’inégalité et l’exclusion sociale. Dans la terminologie politique moderne, de tels groupements politiques sont connus sous le nom d’extrême-droite. Ils représentent les ancêtres de l’actuelle extrême-droite haïtienne. Ils pratiquent violemment le refus de toute  redistribution des richesses, l’exclusion sociale et méprisent les classes dites inférieures (paysans, classe ouvrière émergente…).

On peut donc dire que les valeurs d’une certaine partie de la classe dirigeante et les actes qu’elle a posés peuvent servir à la placer dans la catégorie de la droite haïtienne, ou peut-être même de l’extrême-droite de la nouvelle nation. Selon l’anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot (1990), « political independence only increased the gap between leaders and producers, because while it confirmed the end of slavery, it also confirmed the existence of the state, that embodied the gap. And it did so in the most unfortunate manner, for the state itself was weak and those who controlled it divided. The most fundamental divide was between anciens libres and nouveaux libres – between those who were free before the beginning of the revolution and those who had gained their freedom during the war. For historical reasons, the former were mostly gens de couleur – that is mulattoes and other phenotypes thought to be light-skinned – and their progeny; the latter mostly black. The disagreements were about politics, but also about land »

(l’indépendance politique n’a fait qu’augmenter le fossé entre les dirigeants politiques et les producteurs économiques, car pendant qu’elle confirma la fin de l’esclavage, elle confirma aussi l’existence de l’état qui concrétisa ce fossé. Et cela se fit de la manière la plus infortunée, car l’état lui-même était faible et ceux qui en avaient la charge étaient divisés. La division la plus fondamentale était celle qui avait cours entre les « anciens libres » et les « nouveaux libres » – entre ceux qui étaient libres avant le début de la révolution et ceux qui avaient conquis leur liberté durant la guerre. Pour des raisons historiques, les premiers étaient principalement des « gens de couleur » – c’est-à-dire des mulâtres et autres phénotypes qualifiés de teint clair – et leur progéniture ; les autres pour la plupart de couleur noire. Leurs désaccords reposaient sur la politique, mais aussi sur la question de la terre.) [ma traduction].

En schématisant quelque peu, on pourrait dire que les anciens libres (mais aussi des nouveaux libres, dans une certaine mesure) de par leurs antécédents historiques, ont représenté la droite haïtienne et les valeurs ou l’idéologie qui vont la caractériser. Ils ne l’ont pas fait dans le cadre de l’exposition claire d’une doctrine idéologique qui dit son nom mais leurs bras armés se sont chargés de réprimer tout mouvement revendicatif. C’est ainsi qu’il faut comprendre les répressions exercées sur des groupes de paysans indépendants par les bras armés de certains partis politiques. Ces paysans indépendants n’étaient pas liés aux groupes politiques dominants, malgré certains liens avec de petits groupes dispersés çà et là à travers le pays. C’est dans cette catégorie qu’il faut placer les « piquets » de Jean-Jacques Acaau (Nicholls 1988). Par leurs revendications de justice sociale et de redistribution des richesses, on peut les considérer comme les ancêtres des défenseurs de  valeurs et d’une idéologie de la gauche haïtienne.

Pendant tout le dix-neuvième siècle haïtien, malgré la publication de certains textes de théorie politique écrits par des penseurs haïtiens bien connus, tels Louis-Joseph Janvier, Anténor Firmin (1885), Hannibal Price…, on ne trouve pas d’ouvrages de doctrinaires haïtiens qui identifient et défendent les valeurs et les idéologies de la droite haïtienne.  Dans une certaine mesure cependant, on pourrait considérer  l’émergence des deux groupes politiques, le Parti Libéral et le Parti National, comme l’expression de deux idéologies fondamentalement opposées sur l’échiquier politique haïtien. Malheureusement, ces deux groupes politiques, au-delà de leurs luttes pour la suprématie électorale, militaire, et intellectuelle, étaient plongés dans une rivalité historique particulière à Haïti : la fameuse question de couleur haïtienne. Cette question va fausser les enjeux et empêcher de poser les vraies questions de classe, d’exclusion sociale et de redistribution des richesses nationales.

Dans la seconde partie de cette étude, nous ferons un petit détour en examinant les questions fondamentales posées par le Parti Libéral et le Parti National avant de retourner à la question de la nature de l’extrême-droite haïtienne.

                                                                                                   A suivre

Références citées :

Firmin, Anténor (1885) De l’égalité des races humaines. Paris

Nicholls, David (1988) From Dessalines to Duvalier. Race, Colour and National Independence in Haiti. London: MacMillan Caribbean.

Trouillot, Michel-Rolph (1990) Haiti. State against Nation. The Origins and Legacy of Duvalierism. New York: Monthly Review Press.

Contacter Hugues St. Fort à: Hugo274@aol.com

- Advertisment -

LES PLUS RECENTES