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Nous étions quatre amis, et les arts nous aimaient. Dorcil Cherubin, Jean-Robert Antoine, Robert Lodimus, et moi, votre reporter. Le va-et-vient de nos rencontres amicales partait de l’Institut National de Formation Artistique (INFA) avant de se retrouver au Conservatoire National d’Art dramatique (CNAD) deux jours durant la semaine. A l’époque nous prenions le chemin des instructions d’Apollon à pied ou en camionnette. Nous pouvions encore inspirer l’air chaud du quotidien avec passion, ou bien nous existions pour nos curiosités.
Et, la misère des plus misérables entretenait nos endurances secrètes comme une thérapie du pardon providentiel. Pourtant, nos contingences existentielles n’avaient pas d’emprises sur nos passions. L’INFA (Institut National de Formation Artistique) dirigé alors par feu Gérard Résil, assisté des instructions mémorables de Edouard Dupont † (histoire de l’art), Denise Pétruce† (pratique de la diction théâtrale), Reynold André dit Jojo-La-Plume et Daniel Marcelin (potin), Jacques Gabriel† (danse folklorique), et d’autres encore, cet INFA d’une période patibulaire , siégeait à l’auditorium théâtral des Frères Saint-Louis de Gonzague. Le CNAD (Conservatoire National d’Art dramatique) de son côte, abritait dans les prémisses du collège des Jeunes Filles sur l’Avenue Christophe, à proximité du beau “Chalmas” populaire de Maurice Sixto†.
Le bon-vieux-mauvais-temps de la dictature des années 80 avait quand même salué nos talents mais, avec une rigueur traumatisante. Mes amitiés avec Jean-Robert Antoine se sont solidarisées durant les premiers feux de notre initiation en journalisme-radio. Nous débutâmes dans les studios de la RGR (Radio Gérard Résil-Progrès) à l’occasion d’un test d’apprentissage offert par le directeur de cette station au CNAD. Jean-Robert terminait alors ses en communication à la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’Etat d’Haïti. Il en obtint une licence, et en fut lauréat de sa promotion. Sa thèse de fin d’études en communication devint une plaquette de 100 pages. Celle-ci fut sa première publication intitulée Vers une Dictature des Mass-médi sortie l’année qui suivit sa graduation a la Faculté des Sciences Humaines.
Nos fougues de débutant ne furent pas des moindres. Un hebdomadaire très prisé de l’époque, Le Petit Samedi Soir fit mention des prestations de notre équipe de reportage en les saluant comme les jeunes loups de la RGR. Mais ce fut en ce temps-la aussi que Jean-Robert Antoine fut arrêté avec d’autres employés de cette station de diffusion de nouvelles par les macoutes du régime au pouvoir à la suite d’une interviewaccordée par le pasteur-politicien Sylvio Claude qui réclamait le départ du président Baby Doc Duvalier. Cependant, un autre secteur de l’opposition au régime accusa et qualifia les efforts de notre jeune équipe chez RGR, de « naïfs et dangereux. » La RGR fut forcée de suspendre ses activités de diffusion pour une période de deux ans ou plus. Après coup, Jean-Robert a pu regagner sa carrière de présentateur et animateur à la TNH vers le mi des années 80.
Camera Mosaïque et Format 60 en devinrent son succès mémorable. Il y présentait en interview des historiens, professeurs, écrivains et artistes de renoms qui faisaient la délectation de l’intelligentsia de tout un pays. Mais tout juste après le départ de Baby Doc Duvalier, des employés de la TNH entrèrent en grève quasi générale. Dorcil et Jean Robert abandonnent la télé et partent sans tarder pour les Etats-Unis. Je les ai revus, Dorcil à Washington à l’occasion de ma visite de la radio Voix de l’Amérique ; Jean Robert pour sa part co-présentait une émission de télévision communautaire à New-York avec petite équipe de l’ancienne TNH et à laquelle il m’encouragea de collaborer. La flamme de notre passion pour le journalisme une fois de plus s’est vue écourté par les exigences sociales et familiales de l’existence en pays yankee.
Vers 1999-2007, Jean-Robert reprit le chemin des études. Lui a New York et moi à Chicago. Les contacts durant cette période avec mes trois amis précités avaient disparu. Pourtant Jean-Robert et moi sans que nous le sachions, entreprenions des études similaires dans différents collèges et universités. Lui et moi devinrent techniciens en thérapie cardio-pulmonaire, et quelques années après nous décrochâmes une maitrise en psychologie. Jean Robert opta pour les études pré-doctorales des rapports théoriques de la psychologie, et moi celles de la santé mentale au niveau communautaire.
La déité d’Apollon ne pouvait pas être jalouse de nos orientations existentielles. La survivance spirituelle en pays yankee n’est pas une mince affaire pour des gens comme Jean-Robert et moi. En 2004, j’obtins un trophée Shakespeare d’Excellence poétique pour mes petites histoires en poésie entre l’Europe et les USA ; tandis que Jean Robert allait devenir le CEO d’une petite entreprise familiale à New-York. Le départage entre celui que nous sommes et celui que nous devenons ne va pas de soi. Nous sommes venus au monde de la lumière ave un cri, et nous pouvons partir sans bruit, sans préalables, vers l’obscurité qui abrite les étoiles de l’inconnu. COVID-19 est un connu invisible. Notre vodou l’appellerait un mort-vivant ou un baka. Pourquoi Jean-Robert Antoine ?
Cette question n’a plus de sens : plusieurs centaines de milliers de gens qui comme lui sont mortellement frappés par cette peste apparemment conçue pour les animaux sociaux que nous sommes n’ont pas été immédiatement remis à leur famille pour leurs obsèques. Jean Robert est parti des suites d’une grave insuffisance cardio-pulmonaire que le COVID19 a rendue fatale jusqu’à sa transition ce mardi 28 Avril 2020, dans l’après-midi. Le contenu des rapports de ce reportage n’est pas exhaustif. Mais je désire que l’âme de mon ami repose tranquillement dans les étoiles et sans cimetière.
Joseph G. Janvier, M.S., MHC