Tuesday, May 7, 2024
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19 SEPTEMBRE 1994 : HAITI, VINGT ANS A LA DÉRIVE…

Il y a vingt-ans que les « Américains sont  revenus nous botter les fesses » nous rappela une amie, de l’étranger, dans un message empreint de tristesse et de regrets. Ce petit message de rappel nous a interpellé. Ce jour qui n’aurait jamais dû exister, 19 septembre 1994, des larmes nationalistes fusèrent de nos yeux sans que nous n’y pouvions rien.

Il y a vingt-ans que les « Américains sont  revenus nous botter les fesses » nous rappela une amie, de l’étranger, dans un message empreint de tristesse et de regrets. Ce petit message de rappel nous a interpellé. Ce jour qui n’aurait jamais dû exister, 19 septembre 1994, des larmes nationalistes fusèrent de nos yeux sans que nous n’y pouvions rien.

Au-dessus de l’aéroport international, des hélicoptères bruyants de la marine des États-Unis, lâchaient de leur ventre des flots de marines parachutistes qui prenaient ensuite position avec leurs armes de guerre autour du bâtiment. Inconsciemment, des badauds applaudissaient et dans notre for intérieur, nous demandions qu’on leur pardonnât parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Leur inculture ne leur permettait pas d’interpréter la signification des images du jour. C’était le retour après soixante années, de l’occupant que nous avions combattu mais qui a réussi à modeler notre vie et y a laissé son empreinte. Ce 19 septembre 1994 venait consacrer l’échec d’Haïti et de ses élites qui avaient pendant trop longtemps choisi des névrosés pour les diriger. Et cela devait malheureusement continuer jusqu’à aujourd’hui. Il y a trop longtemps que cela dure, nous semblons, inconsciemment ou consciemment y prendre plaisir…

Pendant vingt ans, notre pays a perdu ses prérogatives d’État souverain qui détermine en toute indépendance les contours de son organisation économique, sociale, politique, administrative en exerçant pleinement ses fonctions régaliennes à travers des institutions viables, décentralisées qui garantissent la permanence de l’autorité publique, arbitre redouté qui s’impose à l’ensemble du corps social.

Le  Blanc est revenu et nous impose sa vision de nous, comment les choses doivent se passer sur notre territoire, ce qui est bon pour nous ou ce qui est trop fin, trop complexe pour que nous les assimilions dans toute leur rigueur comme cela se passe en société démocratique. On se contente pour nous d’une approximation d’attitudes pour nous admettre au sein du concert des nations dites démocratiques, en tolérant nos manquements et notre incapacité à nous conformer aux normes, pratiques, régularités et mécanismes quasi robotisés de renouvellement des institutions qui font rouler la machine de l’État organisé.

Et on nous a envoyé des proconsuls arrogants, des Envoyés Spéciaux, des experts de tous genres, des ambassadeurs plénipotentiaires pour nous dire comment se font les choses, comment la vie politique doit être orientée, comment on comptabilise les votes même quand notre système électoral modelé sur les leur impose le contraire. Parce que nous refusions de nous serrer la main en Haïti et de nous asseoir ensemble pour discuter de nos divergences à coup d’injures jusqu’à ce que nous revenions à la raison, le Blanc arbitre nous a emmené hors de nos frontières pour nous asseoir ensemble sur toutes les tables des salles de conférence de la planète, de Santo Domingo à Stockholm en passant par Cartagena, Washington, Governor’s Island à New York, et d’autres villes plus amènes que Port-au-Prince qui est devenue par ailleurs la poubelle du monde, une ville capitale immonde où les humains cherchent leur survie dans des piles de détritus à ciel ouvert, à côté des porcs…

Le ressort d’Haïti selon la vision de 1804 est cassé à la grande satisfaction de nos contempteurs qui voyaient en nous une bande de nègres arrogants qui osaient les regarder droit dans les yeux prétendant discuter avec eux d’égal à égal. Ils n’ont pas aimé ça et voilà qu’englués dans nos intérêts personnels qui nous font oublier les objectifs de la construction d’une nation forte, entre nous, par nos propres moyens, à l’abri de l’influence des autres, nous les choisissons comme arbitres de nos conflits stupides, en renonçant nous-mêmes, dans un choix suicidaire, à toutes nos valeurs de référence, à nos choix d’origine d’un pays souverain, autonome et viable. Nous avons oublié les promesses, les engagements, les serments prononcés par les ancêtres en se sacrifiant pour nous donner cette terre construite dans la souffrance de l’esclavage et produit d’une rébellion, une révolte puis une révolution sans précédent dans l’histoire universelle.

Il y a vingt ans, cela a pu être possible, parce que nous avions refusé des perspectives nouvelles. Nous voulions maintenir la réalité d’exclusion de la majorité dans les affaires de la nation et nous nous sommes confinés dans un choix de l’ordre ancien devenu en contradiction avec la norme internationale, et le Blanc est intervenu pour nous réinsérer dans les rangs, mais nous continuons de lui imposer un bordel de comportements et d’attitudes qui ont donné naissance à un modèle hybride que les experts internationaux n’arrivent pas encore à décrypter dans les laboratoires des grandes capitales des pays dits amis d’Haïti.

 Nous sommes insaisissables, la présence du Blanc n’a pas prévenu les dérives vers le non État. Les chars de la MINUSTAH trônaient à l’entrée des quartiers et zones sensibles devenus rapidement des lieux de non droit par l’action de bandits arrogants, de véritables petits seigneurs de guerre, chefs de gangs psychopathes de tous acabits. La présence des soldats de la force multinationale, disions-nous, n’a pas empêché l’explosion du kidnapping, du racket, des extorsions de toutes sortes qui ont fait fuir le commerce régulier et les entreprises dont le siège se trouvaient dans ces aires où les laissez-passer sont décernés par les maîtres des lieux qui avaient des noms aux consonances animales, jusqu’au réveil tardif de l’État dont la réaction a mis fin à l’opération Bagdad…Mais que de victimes, que de deuil dans la famille haïtienne avant ce sursaut de l’État !

Vingt ans après cette déconstruction de l’État d’Haïti, où en sommes-nous, en avons-nous tiré des leçons ? Nous savons que non. Nous en sommes encore à une situation de pourrissement où l’État est devenu plus dépendant, où la division est à son comble, où le pouvoir est aux mains des mêmes névrosés qui n’en savent que faire et qui agissent en don Quichotte alors qu’ils sont incapables de se conformer aux patrons classique de la gouvernance. L’État non dirigé pendant trois années, n’a pas pu convoquer les élections pour que ceux qui siègent à nos institutions soient l’émanation des choix légitimes de la population et nous marchons tout droit vers une nouvelle catastrophe dont ceux-là même qui l’ont induit, parce qu’ils n’ont pas été sanctionnés, prétendent en tirer les profits. Le résultat, tout le monde le connait à l’avance. Puisque personne ne peut bénéficier de sa faute, la nation se soulèvera à nouveau pour les évacuer de l’espace. De nouvelles confrontations qui impliqueront encore plus le Blanc dans nos affaires…Nous sommes incorrigibles.

Vingt ans après, la réalité du système hybride que nous avons produit avec l’assistance et l’accompagnement de nos « amis », met face à face les mêmes acteurs aux prises vingt ans auparavant, les mêmes qui ont généré l’intervention du 19 septembre 1994. Nous n’avons pas évolué vers des forces politiques viables, capables d’assumer le pouvoir dans l’alternance démocratique, les rues de nos villes ci et là sont pleines de manifestants des deux camps qui s’affrontent, l’État personnifié par trois pouvoirs se réduit dangereusement en un seul pouvoir qui corrompt et annihile les velléités de contrôle propre à l’État démocratique axé sur la reddition de comptes garantie par la séparation des pouvoirs chacun imbu et jaloux de ses prérogatives.

Comme le pays parait dépourvu d’élite politique, économique et sociale vecteur de nouveaux patrons de comportements responsables pour l’émergence d’une société nouvelle autour de valeurs universelles, comme la classe politique ne s’est pas renouvelée assez pour l’émergence de nouveaux leaders, nous voyons, préoccupés, le retour sur la scène des mêmes personnages que l’on veut ressusciter par toutes sortes d’artifices, les mêmes noms, les mêmes acteurs principaux des événements d’il y a plus de vingt ans revêtant pour certains, d’autres vêtements qui allègent leur aspect d’ogre en uniforme, occupent la scène et reproduisent les mêmes grimaces pour régler de vieux contentieux, ce qui n’augure rien de bon et pour nous et pour notre pays.

Vingt ans de dérive n’ont pas suffi pour provoquer notre réveil pour une prise de conscience qui chasse le Blanc de nos affaires. Nous fortifions au contraire l’ingérence, nous nous complaisons dans la dépendance, nous nous donnons à cœur joie à nos déchirures, à nos conflits sans grandeur et nous parachevons le travail de destruction de notre pays dans une forme de suicide collectif prédit d’ailleurs par l’un de ces Envoyés Spéciaux…

Attendrons-nous vingt nouvelles années avant de réagir pour nous reprendre en charge et décider par nous-mêmes de l’avenir de notre pays, de chercher ensemble dans la divergence des opinions, les solutions à ses multiples problèmes ? Faudra-t-il vingt ans de plus, avant de voir émerger la tête de nouveaux leaders désintéressés, sincèrement passionnés d’Haïti, détenteurs de recettes et de solutions innovantes, obsédés et déterminés à s’engager sans rémission en vue de résoudre nos difficultés et lancer le pays hors des sentiers battus de toujours ?

Verrons-nous avant vingt nouvelles années sortir des entrailles de notre terre, les bases solides de cette Haïti renaissante, un pays nouveau, moderne, socialement juste, une société plus équitable, plus inclusive et capable de maintenir le gros de ses enfants dans son sein. Verrons-nous avant les vingt prochaines années, le retour d’un État souverain maîtrisant pleinement ses frontières et s’imposant comme seul arbitre entre les citoyens redevables et recevant de l’État décentralisé administrativement, les services essentiels, sur place, dans une réalité de proximité dans un pays aux contours chaque jour, plus homogènes ?

19-9-2014

Ce texte a été lu sur les ondes de Radio IBO, 98.5 FM Stéréo à l’émission Questions-Réponses du vendredi 19 septembre 2014.

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