a société haïtienne est-elle capable de transcendance, de dépassement de soi? Pouvons-nous aller au-delà des limites de l’entendement comme le projettent certains grands philosophes dont Kant, Heidegger, Marx et les transhumanistes? En religion, la transcendance est un attribut de Dieu. Cela renvoie à la perfection qui est difficilement assimilable à une valeur haïtienne…
Sans vouloir oser la comparaison au risque de nous retrouver sur le bûcher pour cause de profanation exégétique, sans prétendre élever les décideurs politiques haïtiens à un statut qui les dépouillerait de tout gramme d’intérêt, nous les interpellons pour qu’ils fassent preuve avec l’opinion publique de notre pays de cette capacité quasi inhumaine qu’est la transcendance.
Aujourd’hui, il s’agit de nous entendre entre nous pour trouver la meilleure solution au vide de pouvoir qui arrive au galop pour qu’au 7 février 2016, nous ayons une situation politique gérée avant terme. De cette façon, les “inquiétudes” du Président Martelly ne seront plus justifiées.
Il y a sur la table du Parlement et dans l’air, une flopée de propositions indiquant la manière de remplir le vide de pouvoir au départ de Michel Martelly le 7 février 2016. Il y en a qui suggèrent une transition longue, la majorité, à date, une transition courte, et d’autres propositions mitoyennes recommandant neuf à douze mois. Cela montre l’intérêt des groupes politiques, des parlementaires et du simple citoyen pour les questions de gouvernance politique.
Ce qui fait défaut aujourd’hui pour analyser l’ensemble des propositions et en tirer le meilleur, c’est une instance de coordination. Le déficit institutionnel résultant du refus de l’administration sortante d’organiser à temps des élections pour renouveler le personnel politique à l’intérieur des pouvoirs et des collectivités locales est directement la cause de cette lacune.
Face à ce vide institutionnel tout aussi préoccupant que le vide de pouvoir à venir, ce sont les réserves de la République qui doivent être mises à contribution pour prendre les choses en main et forcer à la raison.
LE PARLEMENT/ LE PREMIER ACTE DE TRANSCENDANCE
Il y a une convergence des propositions quant au rôle que doit jouer le Parlement en dépit du fait qu’une partie des parlementaires fraîchement arrivés dans son sein soit partie du problème. Les dernières législatives du 9 août et du 25 octobre 2015 sont l’essence même de cette nouvelle crise politique. Mais le premier acte de transcendance ne doit-il pas porter sur le rôle exact que ce Parlement à légitimité questionnée?
Ne convient-il pas à cette étape de valider temporairement les pouvoirs des deux Chambres en tenant compte du fait que dix des Sénateurs ne font pas partie du problème émanant desdites élections. La commission de vérification réclamée pour nous rendre la vérité des urnes, permettra par la suite de décider qui, de ces nouveaux Députés et Sénateurs, retourneront devant le souverain qui tranchera définitivement la question de leur légitimité dans les élections à venir, comme l’accord politique en conviendra.
FAUT-IL OBLIGATOIREMENT UN PRÉSIDENT PROVISOIRE ET/OU UN NOUVEAU PREMIER MINISTRE?
DEUXIÈME PREUVE DE TRANSCENDANCE.
Faudra-t-il inévitablement un Président provisoire et/ou un nouveau Premier ministre? Voilà le deuxième point pour lequel, la transcendance dont il est question est indispensable.
A toute perspective de vide de pouvoir dans notre pays, les politiciens, les juges à la Cour de Cassation, conformément à notre tradition politique du XXème siècle dernier ont les antennes bien dressées parce qu’on ne sait jamais, l’heure pourrait sonner! Nous connaissons la blague de discours froissés dans la poche des toges de ces Magistrats qui ne désespèrent pas après les occasions ratées issues des coups d’État où ils n’ont pas eu la préférence des faiseurs de rois, d’arriver enfin au but devant l’Assemblée Nationale, le torse bombé, la main sur le cœur pour recevoir après une épuisante attente, cet hymne présidentiel qui hante les rêves de plus d’un…
La Constitution du 29 mars 1987 amendée a changé la donne. Le regard est désormais tourné vers la Primature ou le Parlement en cas de vacance présidentielle. Malheureusement, tous les cas de figure prévus par l’article 149 de la Constitution amandée en cas de vacance au niveau de la Présidence sont épuisés dans l’actuelle crise politique où au 7 février 2016, le Président Michel Martelly aura joui de toutes les minutes de son mandat. Dans la pureté de l’esprit et de la lettre de notre Charte, ni le Premier ministre Evans Paul, ni le Parlement ne peut jouer le rôle prévu dans cet article dépendamment que la vacance intervienne au cours des trois premières années du mandat ou au cours des deux dernières années.
PRAGMATISME ET DÉPASSEMENT DE SOI…
Il reste à présent le pragmatisme qui doit entrer en jeu, suivant la tradition politique haïtienne qui met à contribution les forces politiques et les groupes organisés de la société civile pour trouver la parade adéquate qui aide à combler la lacune juridico légale. Nous entrons ici dans une situation où c’est la capacité de dépassement de soi qui nous fournit les outils pour fixer la panne. Ce n’est pas le moment de l’expression des extrêmes qu’il faut neutraliser à tout prix, au nom des intérêts supérieurs de la nation.
Si nous sommes d’accord qu’aujourd’hui Michel Martelly ne peut pas faire partie de la solution, devons-nous regarder le Premier ministre Evans Paul comme faisant partie du problème? Les parlementaires qui demandent déjà publiquement la démission du Premier ministre, se rendent-ils compte de la portée de leur demande irréfléchie? Nous avons un Président à la veille de la fin de son mandat, nous n’avons pas encore l’ombre d’un consensus sur la manière de combler le vide de pouvoir qui est imminent et nous souhaitons sauter le fusible qui, au niveau de l’Exécutif, continue d’alimenter le système en énergie au risque d’entrer tout à fait dans le noir!
Même si Evans Paul, dans l’esprit de plus d’un ne doit pas faire partie de la solution, en attendant l’aboutissement à ladite solution, il n’est pas souhaitable que formellement il ait le statut de Premier ministre démissionnaire avec tout l’impact d’une telle posture dans le fonctionnement de l’État. D’aucuns ont assumé que le Premier ministre était démissionnaire avec la rentrée parlementaire. Mais tout autant que cette démission est une vue de l’esprit et non un acte formel, concret, il a pleinement les commandes pour assurer la marche de l’État. Le faire démissionner créerait une situation de débandade typique des moments de transition dans l’Administration publique avant la passation de pouvoir entre le Président en fin de mandat et le nouveau Président élu. Nous devons être responsables pour éviter la menace de chaos que le Président Martelly et ceux qui souhaitent son maintien au-delà de son terme constitutionnel nous brandissent sous forme de chantage…
Il y a ceux qui veulent du nouveau dans l’horizon politique et ceux qui souhaitent jouer un rôle pour se positionner à posteriori. Rien n’est plus légitime que de vouloir aspirer aux plus hautes fonctions de l’État à un moment de grande incertitude pour son pays ou tout naturellement en période électorale normale. Mais il faut aussi être capable de transcendance si l’on constate que son projet fait face à des résistances dues aux clivages immenses de notre société où chacun est incapable de se contenir pour comprendre le caractère exceptionnel du moment où en définitive, ce qu’il faut privilégier c’est Haïti.
A notre avis, si la course aux ambitions rend difficile la conclusion d’un accord viable résultat de compromis et de concessions des uns et des autres, la bonne attitude c’est de regarder la réalité d’aujourd’hui et accepter de vivre avec ce avec lequel, en temps normal l’on s’accommoderait difficilement.
Que les forces impliquées dans les négociations s’efforcent d’atteindre l’indispensable compromis pour aller soit dans la solution prenant en compte le rôle du Parlement, soit un retour au 149 non amendée ou en innovant totalement, la situation d’aujourd’hui n’étant pas contraignante, les provisions constitutionnelles étant épuisées. Dans l’impossibilité d’avancer selon les envies des uns et des autres, il nous reste la possibilité de continuer dans la transition avec Evans Paul comme Premier ministre en lui donnant l’onction parlementaire et en formant un nouveau gouvernement qui regrouperait des représentants de toutes les tendances politiques.
Dans ce cas, l’on formera un nouveau Conseil Électoral, la Commission d’évaluation des élections et les forces politiques s’entendront sur le mandat et le calendrier de la transition. Mais avons-nous Haïtiennes et Haïtiens la capacité de transcendance pour évacuer les considérations claniques et les rejets systématiques de perspectives que d’aucuns considèreront comme inacceptables?
Cette réflexion a été initialement présentée au Journal de 17:00 de Radio IBO, 98.5 FM Stéréo, le vendredi 29 janvier 2016.