Entretien avec la professeure Marie-Christine Doran de l’Université d’Ottawa
Brockton (Massachusetts) – Par YVES CAJUSTE – L’élection présidentielle au Mexique, ce dimanche , marque un moment important dans le paysage politique du pays. Dans la course Claudia Sheinbaum, ancienne maire de Mexico et candidate du parti Morena au pouvoir, à Xóchitl Gálvez, candidat de l’opposition représentant le Parti d’action nationale (PAN).
Sheinbaum, physicien titulaire d’un doctorat en ingénierie énergétique, a été un proche allié de l’actuel président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et a occupé diverses fonctions au sein de son administration avant de devenir maire de la capitale. Gálvez, ingénieure et entrepreneure d’origine autochtone Otomi, a construit sa carrière à la fois dans la fonction publique et dans le secteur privé, auparavant directrice de l’Institut national des peuples autochtones, puis sénatrice.
Au cours de la campagne, les deux candidats ont mis en avant des visions distinctes de l’avenir du Mexique. La campagne de Sheinbaum s’est concentrée sur la poursuite du programme d’AMLO en matière de programmes de protection sociale, de réformes économiques visant à réduire les inégalités et d’une position ferme en matière de lutte contre la corruption. En revanche, Gálvez s’est positionnée comme une candidate du changement, mettant l’accent sur la nécessité d’une libéralisation économique, du renforcement des institutions démocratiques et d’une plus grande responsabilité du gouvernement. Leurs débats ont été marqués par des contrastes marqués en termes de politique et d’approche, reflétant la division idéologique plus large entre leurs partis respectifs (Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), Parti d’Action nationale (PAN) et Parti Révolutionnaire Démocratique (PRD)., comme l’indique Professeure Marie Christine Doran de l’Université d’Ottawa qui revient d’une visite de plusieurs semaines au Mexique.
En matière de politique économique, Sheinbaum plaide pour la poursuite des politiques du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO), notamment des projets d’infrastructures à grande échelle et des dépenses sociales pour soutenir les pauvres et la classe moyenne. Elle met l’accent sur l’intervention de l’État dans des secteurs stratégiques et vise à élargir les programmes sociaux. Gálvez propose cependant de stimuler l’investissement privé, de réduire les contraintes réglementaires et de créer un environnement plus favorable aux entreprises pour stimuler la croissance économique. Elle plaide en faveur d’un budget plus équilibré et de mesures visant à attirer les investissements directs étrangers (IDE) comme éléments clés de la revitalisation économique.
La politique sociale et les soins de santé ont également été au cœur de la campagne. Sheinbaum soutient l’élargissement de l’initiative de santé universelle du gouvernement actuel et l’augmentation du financement des services de santé publique. Elle vise à remédier aux disparités en matière de soins de santé qui affectent les communautés rurales et marginalisées. Gálvez, de son côté, a critiqué l’inefficacité du système de santé actuel et plaide pour un système mixte comprenant à la fois des options publiques et privées, visant à améliorer la qualité et l’accessibilité des services.
Dans le domaine de l’éducation, Sheinbaum prévoit d’augmenter les investissements dans l’éducation publique, en se concentrant sur l’amélioration des infrastructures, la formation des enseignants et l’accès à l’enseignement supérieur, en particulier pour les groupes défavorisés. Gálvez propose des réformes éducatives comprenant des mises à jour des programmes, une formation professionnelle améliorée et des partenariats avec des entreprises du secteur privé pour garantir que l’éducation s’aligne sur les besoins du marché. Les deux candidats s’accordent sur l’importance de l’éducation mais diffèrent dans leurs approches en matière de financement et d’administration.
La politique étrangère et le commerce international constituent d’autres domaines de divergence. La politique étrangère de Sheinbaum vise à maintenir la position actuelle de non-intervention du Mexique et à renforcer les alliances régionales en Amérique latine. Elle soutient la poursuite des accords commerciaux qui profitent aux industries mexicaines tout en protégeant les marchés intérieurs de la concurrence déloyale.
Gálvez, à l’inverse, plaide pour un engagement plus proactif dans le commerce mondial, en cherchant à étendre les relations commerciales du Mexique au-delà de l’Amérique du Nord et de l’Europe, et en faisant du Mexique un partenaire fiable sur les marchés internationaux. Elle souligne la nécessité de moderniser les accords commerciaux pour s’adapter aux nouvelles réalités économiques et aux progrès technologiques.
Parallèlement à l’élection présidentielle, le Mexique connaîtra également des élections législatives pour le renouvellement du Parlement et les postes de neuf gouverneurs sur 32. Ces élections sont cruciales car elles détermineront l’équilibre des pouvoirs au sein du pouvoir législatif, ce qui aura un impact sur la capacité du prochain président à mettre son programme. Morena vise à conserver sa majorité dans les deux chambres pour poursuivre sa politique de transformation, tandis que l’opposition cherche à obtenir davantage de sièges pour contrôler le pouvoir de l’exécutif. Les courses au poste de gouverneur sont tout aussi cruciales, car elles peuvent modifier la dynamique politique au sein des États clés, influençant à la fois la politique nationale et la gouvernance locale.
La campagne pour ces élections au Mexique a été marquée par une violence et une insécurité considérables particulièrement dans le Nord du pays, avec un nombre inquiétant de candidats confrontés à des menaces et à des attaques violentes. Ce cycle électoral a vu la mort de nombreuses personnalités politiques, ce qui en fait l’un des plus dangereux de l’histoire récente. La violence est souvent attribuée aux groupes du crime organisé qui cherchent à influencer le paysage politique pour protéger leurs intérêts. Ces groupes ciblent les candidats qui constituent une menace pour leurs opérations ou qui refusent de coopérer, créant ainsi un climat de peur et d’intimidation. Cette insécurité mine le processus démocratique, car elle restreint la capacité des candidats à faire campagne librement et affecte la participation électorale et la confiance dans le système électoral.
Pour un éclairage sur les élections au Mexique notre invitée est Marie-Christine Doran (PhD), Professeure Titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Elle est également Directrice de l’Observatoire violence, criminalisation et démocratie.