Monday, April 29, 2024
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Le fouetté d’Alves

Dany AlvesLa  passe conditionne la beauté du football parce qu’elle lui assure un mouvement continuel. Quand elle conduit à un but, elle s’élève à la hauteur de la Transcendance créatrice. Telle celle de Dani Alves qui crée le but de Messi contre Paris, telle celle d’Oëzil qui crée le but de Christiano Ronaldo contre Galatasaray. Est beau ce qui titille notre admiration épurée de tout intérêt matériel. En étant arbitraire, prétendons que la tourterelle, œuvre de la Transcendance créatrice, est belle, et à ce titre nous émeut et nous attire tandis que l’araignée nous repousse. Les deux sont créatures transcendantales pourtant. Les passes d’Alves et Oëzil renvoient donc à l’absolu, comme les buts de Messi et Ronaldo aux créatures terrestres.
Les passes créent ; les buts sont créés. Tout comme la Transcendance créatrice varie sa production de beauté d’une créature à une autre, la passe créatrice de buts, tout en gardant son essence féconde, et les buts qu’elle crée  – de même valeur marchande – offrent  à la jouissance esthétique des dosages et une rêverie d’intensité et durée de vie différenciées. Eux tous garderont vie dans les statistiques, ceux de transcendance absolue, la passe d’Alves et le but de Ronaldo, se logeront dans un coin de notre cerveau et irrigueront nos âmes, par une rêverie permanente, jusqu’au rappel de la Transcendance.

Traitons de la passe d’Alves.

Le Brésilien de Barcelone sortait déjà un match de toute beauté dans son couloir droit. Duels au sol et en l’air gagnés proprement, retour défensif approprié, multiplication de misères à Maxwell, son opposant direct,  centres courts ou longs, un puissant coup franc qui passe de très peu à côté du poteau droit de Sirigu. Ça doit être cela, être dans un bon jour. Mais rien dans ce match ne pouvait égaler sa passe de la 34e minute.

Sur une balle arrêtée barcelonaise, le match avait basculé dans la trivialité de deux dégagements de la tête avant de retrouver toute sa noblesse grâce à un contrôle de Dani Alves qui apprivoisa le ballon sans cependant en avoir l’usage absolu, le ballon ayant retrouvé sa docilité plus près de son pied gauche que du droit, lui le droitier impénitent. Et il vit le gourmand Messi appeler une passe urgente.

Une passe classique du coup du pied aurait pu avoir trois destins malheureux: soit le ballon se serait dirigé dans le dos de Messi ; soit, fuyant, il aurait été repris par Messi jusque sur la ligne, ce qui aurait permis à un ou deux défenseurs de rejoindre l’Argentin et qui pourraient bloquer toute voie de passe en retrait, de toute façon  à succès aléatoire compte tenu de la forêt de jambes parisiennes qui avait déjà poussé dans la surface de réparation ; soit alors – ce qui aurait donné aussi du temps aux défenseurs parisiens pour revenir à la hauteur de Messi et le contrer-  le ballon aurait pris la hauteur idéale mais pour une vitesse inférieure à celle de la technologie que deux secondes plus tard Alves va utiliser : un fouetté de l’extérieur du pied droit.

N’ayant pas le temps de se mettre en mouvement, Alves sait que sur cette phase de jeu il sera privé de la valeur ajoutée cinétique. Alors il usa de toute l’amplitude de sa jambe droite pour fouetter le ballon de l’extérieur du pied. La trajectoire s’incurva  et le ballon chuta dans la course de Messi qui n’avait plus qu’à croiser sa frappe létale du gauche : orgasme simultané. La posture d’Alves, la jambe gauche fermement fixée au sol, la droite se balançant vers le haut en amplitude maximale comme si, devenu gymnaste, le Brésilien allait réaliser un grand écart sur une jambe, la droite tendue vers le ciel à la fin du mouvement semblant se figer pour la photo et l’appréciation des juges.

Il est permis, de cette passe d’Alves, de faire abstraction de la vista et de l’acuité tactique qui relèvent du cognitif, y compris de la fécondité de la passe qui crée le but, efficacité,  pour n’en retenir que sa beauté pure, donc la sensibilité, exprimée dans la posture corporelle et la trajectoire du ballon, une forme d’art où l’artiste se confond avec le chef-d’œuvre furtif comme un clin d’œil d’une Vénus incarnée.

Patrice Dumont

patricedumont21@hotmail.com

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