Saturday, April 27, 2024
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Est-elle résolue, l’énigme Préval ?

Selon le Petit Robert, une énigme est toute chose qu’il est difficile de comprendre, d’expliquer et de connaitre. Une énigme est donc un mystère. Dans l’histoire de la pensée occidentale, l’une des énigmes les plus célèbres est l’énigme du Sphinx qui a été devinée ou résolue par Œdipe.

Pour Claude Roumain, Préval est une énigme. Il veut donc dire par là qu’il est difficile de comprendre, d’expliquer et de connaitre Préval. D’où les questions suivantes qui viennent tout de suite à l’esprit du lecteur : en quoi Préval est-il une énigme ? Pourquoi Préval est-il une énigme ? Qu’est-ce qui fait que Préval est si difficile à comprendre et à expliquer ? Et finalement, après avoir lu le livre de Claude Roumain, a-t-on l’impression de comprendre mieux Préval et peut-on expliquer son passage au Palais National comme président de la république ?

S’il est vrai qu’il n’existe pas de qualifications claires pour devenir président d’un pays, il y a tout de même certaines sociétés qui ont mis sur pied des institutions dont les enseignements qui y sont dispensés et les habitudes qu’on y acquiert  peuvent faciliter l’acquisition de compétences spéciales très utiles à la fabrication d’un président. Je pense par exemple à une société comme  la société française avec son système de Grandes Ecoles (l’ENA ou Polytechnique), véritable pourvoyeuse d’Hommes d’Etat ou de hauts fonctionnaires de l’Etat.  La société haïtienne ne possède pas ce genre d’institutions mais s’appuie – comme dans la majeure partie des pays du monde – sur les expériences acquises par certaines personnalités dans la fonction publique ou dans les rouages du Législatif ou même dans le rude monde du privé pour fabriquer un président, du moins dans le meilleur des cas possibles.

Selon Claude Roumain, René Préval a eu un « destin exceptionnel » qui l’a porté à devenir « Premier ministre, ministre de l’Intérieur et de la Défense nationale en 1991, président de la république élu au suffrage universel direct de 1995 à 2000, réélu en 2006 pour un mandat de cinq ans qui  [s’est achevé] le 7 février 2011 ». Il est difficile d’expliquer une telle réussite qui est peut-être sans pareille dans l’histoire d’Haïti. Roumain rejette toute tentative de comparaison  de Préval à d’autres chefs d’état de l’histoire haïtienne. Pour lui, seul le parcours et la pratique politique de Préval comme chef d’état permettent de l’analyser et de le comprendre.

Il remonte alors au séjour de Préval en Europe et particulièrement en Belgique où Préval était étudiant et où un certain nombre d’étudiants haïtiens appartenant à divers courants de gauche tachait de « définir de nouvelles stratégies de lutte face à un pouvoir de plus en plus répressif qui ne laisse aucune marge à l’action démocratique. » C’était alors, raconte Roumain, la fameuse période des années troublées 1967-1968 dans presque toute l’Europe, c’est-à-dire l’époque du « Che », l’ébranlement de mai 1968, etc.  Claude Roumain qui venait d’arriver à l’université de Louvain raconte l’ambiance de l’époque, sa rencontre avec certains étudiants haïtiens plus âgés que lui et  qui l’avaient marqué, mais surtout, il nous livre une image très ambivalente  de Préval qui s’est comporté « pendant toute sa période-Belgique comme un indépendant, comme un franc-tireur, tout en voulant conserver une étiquette de sympathisant de la gauche haïtienne, voire de militant politique. » Cette caractérisation de Préval par Roumain nous apparait pertinente et d’une puissance rare pour comprendre ce qui rend l’ancien président haïtien si énigmatique. Cependant, cette attitude de Préval feignant un certain retrait des projecteurs politiques, jouant une fausse décontraction, n’est pas tellement originale dans l’histoire de la politique contemporaine haïtienne. François Duvalier l’a pratiqué dans une certaine mesure. Ce qui est nouveau avec René Préval, c’est qu’il s’est réfugié derrière une étiquette de « gauche » dans une société profondément « anti-gauche » ou « anti-communiste » surtout depuis la dictature répressive des Duvalier, pour « justifier son refus de s’engager » d’abord dans les milieux de l’exil et, plus tard, dans ses critiques contre une certaine gauche haïtienne.

Tout le texte de Roumain semble être le lieu de constantes interrogations de la part de l’auteur pour débusquer Préval de l’ombre qui le protégeait afin de ne pas laisser voir son vrai visage, sa vraie personnalité, ses vraies ambitions. Roumain révèle ainsi certaines anecdotes fort révélatrices, si elles sont confirmées, par exemple, la tendance de Préval « lors des déplacements de l’équipe [d’Aristide] tant en province qu’à l’extérieur » à partager la chambre de « Titid », en dormant, « s’il le fallait à même le parquet, afin d’être plus proche du chef charismatique et surtout pour bien montrer son peu d’intérêt pour tout avantage matériel ou tout confort ». Roumain met à nu les innombrables contradictions de Préval, que ce soit dans l’affaire du sauf-conduit pour qu’il quitte l’ambassade du Mexique, que ce soit dans sa conduite ferme et même autoritaire de « son » gouvernement dans l’exil d’Aristide  à Washington après le coup d’état de septembre 1991, ou encore dans la politique néo-libérale qu’il appliqua en tant que président au milieu des années 1990, malgré sa réputation d’être un homme de gauche.

Le plus clair hommage rendu par Claude Roumain à René Préval est l’éloge qu’il fit de l’ancien président pour son aisance politicienne et sa facilité à se conduire dans son nouveau costume de chef d’état traditionnel, malgré son inexpérience avant 1991 du pouvoir, des relations internationales et « des rouages de l’administration publique et de l’état ». Cependant, je ne suis pas sûr que Préval doive se sentir rassuré par cet éloge. En effet, en tenant compte des tares habituellement attachées à la condition de chef d’état traditionnel en Haïti, ces remarques  adressées  à Préval ne devraient pas être perçues comme des éloges.

Claude Roumain qui a participé à des réunions de chefs de parti dans les salons des appartements privés du président au Palais National rapporte une anecdote relative à l’une de ces réunions où, Préval, après avoir jeté un coup d’œil circulaire dans la salle, lança : « …et dire que c’est moi le président, alors que je suis entouré de gens ayant une longue histoire politique qui auraient pu ou dû être à ma place aujourd’hui. » Il n’y a aucune raison de douter de la véracité de ces propos rapportés par Roumain mais ils en disent très long sur l’homme Préval et jettent encore plus de lumière sur sa vraie personnalité.

Le clou des intéressantes révélations rendues publiques par Claude Roumain se trouve dans l’explication fournie par l’auteur de la décision prise par Préval de se débarrasser de son Premier ministre Madame Michèle Pierre-Louis. En effet, selon Roumain, Préval prit ombrage de la « montée en puissance de son Premier ministre aux yeux de l’international » et favorisa les accusations de corruption ou de mauvaise gestion des fonds publics (pg.163) adressées au Premier ministre par la majorité des députés. Claude Roumain écrit ceci : « René Préval ironisa à propos de son Premier ministre qui prétendait changer le « paradigme de la coopération ». Le président confia à son entourage : « Nous avons besoin d’argent pour réaliser nos projets et le Premier ministre intellectualise en nous offrant le concept de paradigme… » (pg. 163). En ironisant ainsi sur le concept de paradigme, René Préval se comporte comme un vulgaire et typique sous-éduqué haïtien qui méprise le savoir et se moque éperdument de ceux qui en parlent.   

Le principal reproche que je ferais au texte de Claude Roumain réside dans l’absence presque totale de ses sources. Qu’il le veuille ou non, le livre de Roumain servira un jour de matériau historique et il aurait pu mettre plus de soin à constituer et citer ses documents. Il est vrai qu’il a participé comme témoin dans beaucoup de faits et d’événements qu’il rapporte mais, comme le rappelle justement Paul Ricoeur (2000) : « Une épistémologie vigilante met …en garde contre l’illusion de croire que ce qu’on appelle fait coïncide avec ce qui s’est réellement passé, voire avec la mémoire vive qu’en ont les témoins oculaires, comme si les faits dormaient dans les documents jusqu’à ce que les historiens les en extraient. » (pg. 226).         

En conclusion, le livre de Claude Roumain peut être lu comme une longue quête de l’auteur à la recherche du « vrai » Préval qui a constamment pratiqué, selon Roumain, une attitude ambivalente, déconcertante, entourée d’ombre,  que ce soit en tant qu’étudiant en Belgique, ou en tant que chef d’état. En ce sens, Roumain se révèle un fin pratiquant de « l’observation historique », un « décortiqueur » de personnalités historiques dont l’œuvre sera grandement utile aux historiens et aux historiographes à venir.

Référence citée :

Ricoeur, Paul (2000) : La mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris : Editions du Seuil.

Hugues St. Fort : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. ‘;document.getElementById(‘cloakfc2a7c301695d5560d603b050eeb647b’).innerHTML += ‘‘+addy_textfc2a7c301695d5560d603b050eeb647b+'<\/a>’;        

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