Friday, April 26, 2024
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Anne Soupa, la théologienne qui défie le clergé français

Un clergé 100% mâle, voilà qui suffit. Une théologienne française, Anne Soupa, défie le microcosme religieux : elle présente sa candidature à l’archevêché de Lyon qui cherche un successeur à Monseigneur Barbarin, démissionnaire. Elle n’a aucune chance d’être élue dans l’état actuel du droit canon mais de très bonnes de faire parler de l’absence de femmes dans la hiérarchie religieuse.

L’objectif d’Anne Soupa : provoquer une “prise de conscience” devant “l’invisibilité” des femmes dans l’Eglise catholique. Sa simple candidature apparaitra sûrement aux autorités religieuses comme une provocation. Pas de candidat habituellement mais le fait du prince, ou plutôt du pape. C’est lui qui choisit parmi les noms proposés par le Nonce apostolique, équivalent à Paris de l’ambassadeur du Saint-Siège.

“Je veux montrer qu’un autre visage de l’Eglise est possible.”
Anne Soupa, théologienne et candidate à l’archevêché de Lyon

“Je vais envoyer (au Nonce à Paris) une profession de foi, un programme pour Lyon, une biographie et un communiqué de presse”, a déclaré à l’AFP cette théologienne et bibliste de 73 ans qui n’a pas froid aux yeux.

Le Comité de la Jupe, premier fait d’armes
Son premier fait de gloire féministe : la fondation avec Christine Pedotti, intellectuelle catholique engagée, du Comité de la jupe, qu’elle préside et qui milite pour une juste reconnaissance des femmes au sein de l’Eglise.

“Il ne suffit pas d’avoir une jupe, encore faut-il avoir quelque chose dans la tête.”
André Vingt-Trois, cardinal français, en 2008.

La création de ce Comité a été une réponse à une provocation machiste au sein même de l’Eglise, celle du cardinal André Vingt-Trois, alors archevêque de Paris et président de la Conférence épiscopale de France : “Le plus difficile, déclare t-il en 2008 sur l’antenne de la radio chrétienne RCF, c’est d’avoir des femmes formées. Il ne suffit pas d’avoir une jupe, encore fait-il avoir quelque chose dans la tête ” Fermez le ban…

Les deux femmes n’en restent pas là. Appuyées par une quinzaine d’autres personnes, elles déposent plainte contre le prélât devant le tribunal ecclésiastique de Paris. La réponse ne tarde pas. Monseigneur Vingt-Trois nuance publiquement son propos. La plainte est retirée.

Mais c’en est trop. En 2009, avec Christine Pedotti toujours, Anne Soupa fonde la Conférence catholique des baptisés francophones, nouveau geste d’indépendance. Le mouvement réformateur fort aujourd’hui de plusieurs milliers d’adhérents est fondé sur une maxime limpide : “Ni partir, ni se taire”. La vieille église catholique conservatrice a déjà du souci à se faire…

“Des loups dans la bergerie”
Le choix de la ville de Lyon n’est pas qu’un simple concours de circonstances lié au départ de Philippe Barbarin. Lyon est la ville par laquelle le scandale arriva, celui du silence et de la pédophilie en la figure du prêtre Preynat condamné à 5 ans de prison pour abus sexuels sur de jeunes scouts, entre 1971 et 1991. Des faits tus par Philippe Barbarin qu’un prêtre accusa d’être au courant puisqu’il l’en avait lui même informé. Philippe Barbarin fut jugé à son tour mais relaxé en janvier dernier avant de démissionner.

Dans sa profession de foi, Anne Soupa s’explique : “Pourquoi candidater à Lyon ? Parce qu’à Lyon, quatre archevêques successifs, Mgrs Decourtray, Billé, Balland, Barbarin, ont failli dans leur tâche première, celle de protéger leurs communautés. Les bergers ont laissé les loups entrer dans la bergerie et les prédateurs s’en sont pris aux petits. ”

C’est un des chevaux de bataille d’Anne Soupa, mettre fin au cléricalisme qui encourage selon elle les dérives dont les violences sexuelles pédophiles mais aussi celles des prêtres contre les religieuses. A l’occasion de la sortie de son livre Consoler les catholiques début 2019, la théoligienne détaillait ce point de vue: “Le cléricalisme est un abus de pouvoir. Il a pu laisser sévir des personnalités marginales, attirées par les lieux de l’entre-soi. Ce système est devenu un refuge et un lieu d’impunité pour les abuseurs.”
Christine Pedotti complète : “La prêtrise est un problème en quatre points : toujours un homme, toujours célibataire, toujours à plein temps, toujours toute la vie.”

“Un système phallocrate”
Se servir du corps des femmes, c’est une autre des dérives dénoncées par Anne Soupa et Christine Pedotti. Elles co-signaient, lors de la journée de la Femme il y a un an, une tribune dans Témoignage Chrétien. Elles y dénoncaient, rien que ça, la canonisation de Jean-Paul II coupable, à leurs yeux, d’avoir entetenu ce système phallocrate : “Sous l’influence déterminante du pape Jean Paul II, « la Femme » devient une idée, conçue exclusivement par des hommes – célibataires de surcroît. Nous demandons la décanonisation du pape Jean Paul II, protecteur des abuseurs au nom de la « raison d’Église » et principal artisan de la construction idéologique de « la Femme », ainsi que l’interdiction d’enseigner, de propager ou de publier la « théologie du corps » qu’il a prêchée au cours de ses catéchèses du mercredi.

“Un excellent coup, que je trouve assez drôle mais aussi très important car cela permet de dénoncer la prééminence du masculin”.
Christine Pedotti, écrivain et journaliste chrétienne.

Autant dire que la candidature d’Anne Soupa à Lyon va soulever l’enthousiasme du clergé… Sa complice de toujours, Christine Pedotti (avec qui elle a signé “Les deux pieds dans le bénitier” aux Presses de la Renaissance) s’en amuse déjà : “C’est un excellent coup, que je trouve assez drôle mais aussi très important car cela permet de dénoncer la prééminence du masculin. Cela ne changera pas les choses mais cela aide à nommer le problème. Il y a peu de réactions officielles à part celle de Monseigneur Gobilliard. Plus quelques rappels au réglement, comme si Anne ne le connaissait pas.”

A quand des femmes prêtres catholiques ?
Pourquoi la perspective de femmes serviteures de l’église pose t-elle tant de problème en France tandis qu’en Suisse ou en Angleterre, la question ne se pose pas ? Vingt ans après avoir commencé à féminiser la prêtrise, l’Eglise d’Angleterre anglicane a ordonné sa première femme évêque dès janvier 2015. Mgr Laurent Ulrich, président du comité “études et projets” à la Conférence des évêques de France (CEF) contre-argumentait : “Ce sont les hommes qui sont prêtres. Une fois qu’on a dit ça, il faut rappeler que notre ministère est de valoriser toutes les missions dans l’Eglise”.

Une réaction qui ne surprend pas Christine Pedotti : “Une grande partie de l’église considère que l’exclusion des femmes est gage de la survie. Ce qui est méconnaitre l’histoire car c’est parce que l’Eglise catholique a évolué qu’elle a survécu. L’église anglicane est beaucoup moins sexiste. J’ai d’ailleurs trouvé une jolie image de l’église anglicane avec Sarah Mullally , 133ème évêque de Londres frappant à la porte de la cathédrale St-Paul. Je l’ai envoyé à Anne, ça va lui plaire. C’est vrai que l’église catholique est coincée partout mais elle l’est particulièrement en France. Un reste de la loi salique ?”

Mais les choses avancent tout doucettement. En avril dernier, le Pape François a créé une nouvelle commission chargée d’étudier l’ouverture du diaconat aux femmes après l’échec d’une première commission en 2016. Ce serait une façon de mettre le pied dans la porte. Si, et seulement si, celle-ci s’entrouvre.

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