Thursday, May 16, 2024
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La crise haïtienne : défis et perspectives de la coopération internationale

Montreal – Par Andréane Milord, étudiante au B.A. en relations internationales et droit international à l’UQAM – Depuis les dernières semaines, la couverture médiatique de la crise en Haïti a repris de l’ampleur à travers le monde. Alors que les yeux sont rivés sur ce petit pays des Caraïbes dont l’aggravation de la crise politique et sécuritaire est très inquiétante, il faut tout de même souligner que cette situation catastrophique ne date malheureusement pas d’hier.

Malgré les nombreuses tentatives pour apaiser les tensions nationales afin d’instaurer un système démocratique durable, force est de constater que la crise haïtienne perdure. Comment parvenir à résoudre cette situation désastreuse qui semble sans issue ? Cette question est tant au centre des réflexions de la population haïtienne et de sa diaspora, que de la communauté internationale et des diverses organisations de coopération. À noter que la crise haïtienne étant complexe et en constante évolution, ce billet de blogue ne vise pas à faire une analyse exhaustive du contexte, mais plutôt de mettre en lumière l’état de la situation actuelle.

Une brève mise en contexte historique

La fragilité actuelle d’Haïti est enracinée dans son histoire. Suite à son indépendance en 1804, Haïti doit payer une indemnité à la France qui entrave gravement son économie émergente. Au 20e siècle, l’ingérence américaine et la dictature prolongée des Duvalier laissent ensuite des séquelles politiques profondes. Plus récemment, le séisme de 2010 exacerbe la situation en causant d’importantes pertes humaines et des dégâts matériels considérables, anéantissant des années de développement économique. En outre, le système politique haïtien est gangréné depuis des décennies par les tendances autoritaires de ses dirigeants et la corruption, favorisant une élite politique et économique minoritaire au détriment du reste de la population.

Comme l’indique ce récent rapport de l’IEIM, les défis de gouvernance engendrent un cycle de crises politiques et économiques qui entravent l’instauration d’un État de droit et l’amélioration des conditions de vie en Haïti. Découlant d’une crise économique prolongée et d’une gouvernance publique déficiente, ce contexte d’instabilité a favorisé l’émergence de gangs de rue qui ont, à leur tour, exacerbé les défis socio-économiques et multiplié les actes de violence en toute impunité. L’existence de ces groupes armés et leurs affiliations politiques n’est toutefois pas un phénomène récent. En effet, ces derniers ont souvent été utilisés par les différents présidents à travers le temps comme moyen pour consolider leur pouvoir. Pensons notamment à la force paramilitaire Macoute qui fut formée par le régime duvaliériste pour solidifier son règne. Au fil du temps, la population haïtienne vit des périodes récurrentes de vulnérabilité, caractérisées par la pauvreté endémique, les inégalités sociales et des cycles de violence qui atteignent aujourd’hui de nouveaux sommets dans la capitale.

Et la coopération internationale dans tout cela ? Le cas onusien

Dans l’objectif de construire et de maintenir la paix en prévenant les conflits et promouvant la démocratie, l’Organisation des Nations unies (ONU) a mis en place diverses missions en Haïti à partir des années 1990 :

Mission des Nations unies en Haïti (1993-1996)
Mission d’appui de l’ONU en Haïti (1996-1997)
Mission de transition de l’ONU en Haïti (1997)
Mission de police civile de l’ONU en Haïti (1997-2000)
Mission de l’ONU pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) (2004-2017)
Mission de l’ONU pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) (2017-2019)

Malgré ces nombreuses tentatives de résoudre la crise en atténuant les tensions internes, ces interventions étrangères n’ont néanmoins pas eu l’effet escompté. Au contraire, la dernière « mission de maintien de la paix » en Haïti, la MINUSTAH, est malheureusement connue pour les séquelles qu’elle a laissées derrière elle. Outre leur incapacité à remplir leur mandat central de désarmement contre les gangs afin de rétablir un contexte favorable à la tenue d’élection, des soldats de la Mission ont été à l’origine d’une épidémie de choléra et de nombreux cas d’agressions sexuelles. La réputation des Casques bleus, titre communément attribué aux troupes onusiennes, s’est vue entachée par leur négligence sanitaire et les cas d’abus. Dès lors, le bien-fondé de ce genre d’interventions étrangères a largement été remis en question, contribuant en partie à l’inertie de la communauté internationale de ces dernières années.

L’actualité enflammée de la crise en Haïti

Suite au retrait final de la MINUJUSTH en 2019, les gangs profitent de ce vide sécuritaire en vue de reprendre par la force le contrôle de certaines zones du territoire haïtien. La situation se détériore rapidement, entraînant ainsi la déclaration de l’État d’urgence dans plusieurs zones contrôlées, suivie par l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, enclenchant une lutte pour le pouvoir. La légitimité de son successeur de facto, le premier ministre Ariel Henry, est contestée. Ce dernier étant incapable de reprendre les choses en main, la conjoncture déjà désastreuse du pays le lance alors dans un cercle vicieux infernal, alimenté par un chaos militaire, juridique et politique.

Récemment, l’aggravation notable de la crise a ramené Haïti au centre de la scène médiatique internationale. Peu de temps après l’inculpation de la veuve de Jovenel Moïse pour complicité à son assassinat en février dernier, le premier ministre haïtien Ariel Henry démissionne sous la pression des gangs de rue, dont l’occupation s’étend désormais à plus de 80% de Port-au-Prince. Les ports et aéroports étant également assiégés, l’aide humanitaire peine à subvenir aux besoins croissants de la population due aux pénuries constantes de ressources qui entrent difficilement en Haïti. La criminalité et les actes de violence, qui étaient déjà un fléau dans le pays, atteignent aujourd’hui des seuils inégalés. Certains pays, dont le Canada, ont ainsi entamé des opérations de rapatriement de leurs ressortissants étrangers en réponse à la détérioration majeure de la situation sécuritaire des dernières semaines.

Une perspective d’avenir : quelle influence d’une nouvelle intervention internationale?

Dans l’objectif de réduire la violence et l’instabilité sécuritaire, l’envoi de quelques milliers de policiers kényans est attendu en Haïti au courant des prochains mois. En juillet 2023, Nairobi a annoncé son intérêt de diriger une mission internationale en déployant un contingent de 1000 policiers. L’adoption en octobre de la résolution 2699 du Conseil de sécurité fait suite à cette initiative, en autorisant le déploiement d’une nouvelle mission de sécurité internationale en Haïti. Cette décision onusienne répond aux appels à l’aide du gouvernement haïtien, s’avouant impuissant face aux gangs dont l’emprise se solidifie rapidement au fil des jours. L’engagement du gouvernement kényan se concrétise le 1er mars dernier par la signature d’un accord avec Haïti, mais le déploiement est toutefois suspendu deux semaines plus tard suite à l’effondrement complet de l’ordre public et de la démission du premier ministre haïtien.

Bien que la sollicitation de cette aide internationale par Haïti contribue à la légitimité de l’intervention, les réflexions sur le bien-fondé d’une nouvelle intervention étrangère sont nombreuses. Alors que cette mission onusienne représente pour certains une nouvelle lueur d’espoir quant à un éventuel dénouement de la crise, d’autres s’en méfient et perçoivent ce type d’intervention comme une ingérence étrangère portant atteinte à la souveraineté haïtienne. S’il est primordial de prôner des « solutions haïtiennes », abandonner le pays à son sort n’est pas non plus une voie favorable afin de rétablir la stabilité au sein du territoire haïtien. Par l’entremise d’un soutien militaire et logistique, les policiers de la mission internationale peuvent appuyer les efforts des autorités locales visant à déloger l’emprise des gangs. D’autres pays offrent également leur appui politique, militaire et/ou financier, tels que le Bénin ou encore le Canada, qui pourraient et devraient selon la communauté haïtienne jouer un rôle plus important dans la résolution de la crise.

La prorogation du déploiement des policiers kényans jusqu’à l’instauration d’une nouvelle autorité contribue toutefois au statu quo actuel, laissant la place à des perspectives ambigües. Plusieurs questions restent ainsi en suspens : cette nouvelle mission permettra-t-elle de revigorer les efforts internationaux visant à résoudre la crise ? Saura-t-elle réellement contribuer à rétablir un contexte politique et sécuritaire stable, tout en évitant de répéter les erreurs du passé ? Outre la Mission, d’autres progressions contribuent également à élargir les pistes de solution. L’Accord politique pour une transition pacifique et ordonnée publié le 3 avril 2024 dernier, s’inscrit dans cette optique en visant à faire connaître certaines demandes spécifiques de représentants de la société civile haïtienne au gouvernement canadien. Somme toute, de grandes attentes se juxtaposent aux incertitudes, engageant encore une fois la résilience du peuple haïtien qui est, pour Danny Laferrière, « tellement habitué à chercher la vie dans des conditions difficiles [qu’il portera] l’espérance jusqu’en enfer ».

Andréane Milord, étudiante au B.A. en relations internationales et droit international à l’UQAM

Source: Institut d’études internationales de Montréal (IEIM-UQAM)

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