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Haïti-Corruption: Lettre ouverte de la Présidente du PFSDH au Président de la République Jovenel MOISE

Port-au-Prince, le 21 juin 2018
Monsieur Jovenel MOÏSE
Président de la République d’Haïti

En ses bureaux.-

Monsieur le Président,

L’importante fonction que vous occupez m’oblige à vous prendre au sérieux quand vous choisissez sans contrainte de communiquer au peuple haïtien et au monde entier des informations graves sur l’étendue de la corruption qui gangrène notre administration publique. Il vous est déjà arrivé à plusieurs reprises de pointer du doigt ce fléau qui mine notre pays et le prive de ressources importantes qui lui font tant défaut. A chaque fois les plus crédules ont pensé que vous alliez prendre des mesures pour traduire en justice celles et ceux qui se sont rendus coupables de dilapidation des deniers publics.

Il y a quelques jours vous avez récidivé en affirmant publiquement que la quasi-totalité des contrats passes avec l’État Haïtien depuis ces dix dernières années ont été surfacturés. Ce faisant vous avez confirmé ce que tout le monde pensait et que les rapports de deux commissions d’enquête parlementaire avaient déjà dénoncé. Mais dans la bouche d’un Président de la République, l’information prend une autre dimension, parce que personne ne peut imaginer que vous avez avancé une telle information sans avoir des preuves solides pour étayer vos déclarations.

Vous en avez trop dit ou pas assez. D’après la constitution, il vous incombe de veiller au bon fonctionnement des pouvoirs publics. Cette responsabilité vous oblige à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour vous assurer que l’action publique soit mise en mouvement contre les personnes physiques ou morales impliquées dans cette vaste entreprise de détournement de fonds au préjudice de l’État et du peuple haïtiens. A partir de vos dernières déclarations, vous ne pouvez plus parler de persécution politique quand des citoyens concernés dénoncent des serviteurs de l’État ou des firmes responsables des surfacturations dont vous avez connaissance. J’espère que cette fois-ci vous n’allez pas vous contenter de parler sans prendre aucune mesure concrète pour que justice soit faite.

Au cas où vous auriez quelques difficultés à trouver la bonne formule pour vous attaquer au problème, je vais prendre la liberté en tant citoyenne indignée et engagée, en tant que responsible politique, de vous faire quelques remarques et suggestions.

Plusieurs compatriotes ont déjà porté plainte dans le dossier Pétrocaribe par exemple. Si vous voulez vraiment combattre la corruption et faire payer ceux qui ont surfacturé les marchés publics, c’est lemoment d’en apporter la preuve. Il va s’agir d’un procès énorme. Plus de trois cent (300) contrats, autant de firmes et de fournisseurs impliqués sans oublier les sous-traitants, des milliers de pages de documents, des centaines voire des milliers de personnes, ministres, fonctionnaires, entrepreneurs, banquiers, employés à interroger, des experts à mobiliser, des enquêtes approfondis à mener sur le terrain, des recherches à effectuer dans la comptabilité des firmes, dans leurs ordinateurs, dans les mouvements de fonds sur leurs comptes, dans leurs déclarations définitives d’impôts, des milliers de relevés bancaires àéplucher, des enquêtes à effectuer à l’étranger dans les paradis fiscaux au Panama, en Suisse, à Dubaï ou ailleurs, etc. Un bon procès Petrocaribe va prendre du temps et va coûter cher. Le juge d’instruction à qui l’on va confier ce lourd et périlleux dossier est déjà débordé par des dizaines voire des centaines d’autres affaires. Il lui faudra donc recourir à l’appui technique de nombreux experts nationaux et internationaux de haut niveau. Nous devons admettre que notre système judiciaire ne dispose pas de toutes les ressources humaines, matérielles et financières pour faire face à une tâche d’une telle envergure et encore moins des moyens pour garantir la sécurité de ceux qui auront à apporter leur collaboration.

En dépit de la faiblesse de notre système judiciaire, je crois qu’il y a des juges honnêtes et courageux qui sont en mesure de prendre en charge le dossier et d’aboutir à un procès exemplaire, si on leur en donne les moyens. Il faut pour cela Monsieur le Président de la République que vous compreniez qu’il vous faudra renoncer à protéger vos prédécesseurs et que dans l’intérêt du pays et dans le vôtre, il vous faut apporter un appui inconditionnel à la justice haïtienne pour la réussite de ce procès.

Un conseil Monsieur le Président, mettez de côté les postures nationalistes, prenez conscience des limitations de notre système judiciaire et utilisez les outils internationaux qui sont à votre disposition. En effet Haïti a signé et ratifié la Convention des Nations Unies Contre la Corruption les 12 décembre 2003 et 14 septembre 2009 et la Convention Interaméricaine Contre la Corruption les 29 mars 1996 et 14 avril 2004. Ces deux conventions comportent des dispositions permettant l’obtention d’une assistance technique par les états signataires qui le souhaitent. Il est certain que si le gouvernement haïtien en fait la demande, les Nations Unies (ONU) et l’Organisation des États Américains (OEA) sauront mobiliser les fonds pour recruter le nombre d’experts internationaux nécessaires, ayant la compétence et l’expérience indispensables en ingénierie, en comptabilité, en finance, en blanchiment des avoirs, en récupération de biens mal acquis et transférés à l’étranger, en fiscalité et autres spécialités, pour accompagner nos institutions de lutte contre la corruption et nos juges à faire convenablement leur travail. Il ne s’agirait en aucune façon de dessaisir la justice haïtienne et encore moins de donner à des juges étrangers le pouvoir de juger chez nous des citoyens haïtiens. L’assistance se limiterait à un accompagnement dans la conduite des enquêtes complexes, le montage de dossiers solides et la prise de décisions delicates légalement fondées et inattaquables.

Nous avons dans la région des exemples de pays qui ont sollicité et obtenu cette assistance internationale. En 2006 le Guatémala a signé avec l’ONU une Convention Internationale Contre L’Impunité au Guatémala (CICIG). En 2015 c’était le Honduras qui signait avec l’OEA une Convention pour l’établissement d’un Mission pour appuyer la lutte contre la corruption et l’impunité dans ce pays. Monsieur le Président, au moment où votre administration se croit obligée d’augmenter les prix des carburants pour renflouer les caisses de l’état, je crois que le peuple haïtien vous prendrait plus ausérieux si vous posiez un geste fort pour démontrer votre réelle volonté d’éradiquer la corruption dans notre pays. Vous êtes aujourd’hui face à vos responsabilités et à vos engagements pris à la face du monde. Le temps n’est plus aux belles promesses. Je Vous encourage maintenant à passer à l’action etentamer rapidement des négociations avec l’ONU ou avec l’OEA pour mettre en place cette assistance technique dans le cadre du procès Pétrocaribe. La balle est dans votre camp, j’ose espérer que vous aurez le courage de scorer pour Haïti.

Salutations patriotiques.

 Edmonde SUPPLICE BEAUZILE
Présidente du PFSDH

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